Le marketing indigène, l’éthique et le journalisme Reviewed by Christian Bolduc on . Pour sa 97è édition, l’Association for Education in Journalism and Mass Communication (AEJMC) a choisi Montréal afin d'y présenter son congrès annuel. Pour l’oc Pour sa 97è édition, l’Association for Education in Journalism and Mass Communication (AEJMC) a choisi Montréal afin d'y présenter son congrès annuel. Pour l’oc Rating: 0

Le marketing indigène, l’éthique et le journalisme

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imagesPour sa 97è édition, l’Association for Education in Journalism and Mass Communication (AEJMC) a choisi Montréal afin d’y présenter son congrès annuel. Pour l’occasion, une pléthore de professeurs, journalistes, éducateurs et chercheurs en journalisme et/ou communication de masse se sont donné rendez-vous dans la métropole québécoise afin de discuter des problématiques auxquelles ils et elles sont confronté(e)s dans leur pratique quotidienne.

Organisme à but non-lucratif qui a des prétentions internationales mais dont le siège social et le noyau dur sont concentrés aux États-Unis, l’AEJMC, forte de 3,700 membres, s’intéresse plus particulièrement aux relations publiques, la publicité, le journalisme (notamment Web), le marketing de marque et la gestion des médias dans une perspective académique et éducative.

«Pour être capables de mieux informer le public des tendances en communication de masse et en journalisme, dit sa présidente Paula Poindexter, il est incontournable que les éducateurs soient au diapason de toutes les tendances actuelles et à venir. C’est le rôle imparti à l’AEJMC d’être un carrefour auprès des nouvelles générations de communicateurs et de journalistes.»

Paula_PoindexterOrganisation indépendante des groupes d’intérêt, l’AEJMC a conséquemment les coudées franches pour explorer librement les questions d’éthique entre le journalisme et le marketing, les rapports de force entre les journalistes, propriétaires de médias et relationnistes, les liens entre la communication de masse, le journalisme et le sport, la publicité positive et négative en politique, l’entrepreneurship chez les jeunes journalistes, etc.

Parmi toutes les conférences proposées, c’est le volet sur la ligne éthique entre le marketing de contenus, notamment et surtout le marketing indigène, et le journalisme qui a retenu notre attention.

Les limites éthiques du marketing indigène

Cette vaste question de l’éthique en marketing de contenu a été l’objet d’une discussion contradictoire entre le journaliste et producteur à la CBC Ira Basen, le professeur Karen Mallia de l’École de journalisme des communications de masse à l’Université de Caroline du Sud et le doctorant en communication de masse et sport Michael Mirer dont le fait d’arme est, outre ses recherches sur la NFL (National Football League), d’enseigner les pratiques de la communication de masse à l’Université de Wisconsin-Madison.

La persuasion clandestine réinventée

Animé par Kathleen Bartzen-Culver de l’Université Wisconsin-Madison, le débat avait pour objectif de mieux définir et faire comprendre une nouvelle tendance en marketing de contenu aux États-Unis: le native marketing, ou marketing indigène. Stratégie pouvant être résumée, comme le fait ici l’animateur télé John Oliver, par l’intégration publicitaire dans un contenu éditorial, le marketing indigène cherche à convaincre et influencer par la dissimulation clandestine de contenus subjectifs et orientés dans des textes journalistiques.

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Ira Basen

« Sachant que les médias, en crise financière du fait que les gens, notamment sur les plateformes Web, ne veulent pas payer pour avoir accès à de l’information, ont besoin de leur argent, les publicitaires ont trouvé un moyen machiavélique pour augmenter la visibilité – et la crédibilité – des marques dans les médias, » commente Ira Basen.

Autrefois identifiés par une mention distincte et claire en marge du texte, les publireportages – parce que c’est de ça dont on parle ici – ont muté vers le marketing indigène qui n’est, finalement, que la réincarnation d’un marketing à la sauce persuasion clandestine, laquelle technique de dissimulation des mobiles a d’abord été dévoilée dans un essai par le journaliste Vance Packard au milieu des années 1950.

« Le danger avec cette nouvelle tendance est double, précise M. Basen. D’abord, le lecteur ne sait pas vraiment s’il lit ou non un texte dont on fait insidieusement la promotion. La confusion, sciemment entretenue par cette pratique publicitaire d’un goût éthique très douteux, entraine ensuite des conséquences sur la crédibilité des médias et journalistes, donc de l’information diffusée.

Créer ses propres contenus

« Si cette pratique doit être dénoncée, ajoute Karen Mallia, on ne peut jeter le bébé avec l’eau du bain. Le marketing de contenu a globalement d’indéniables qualités. On note d’ailleurs qu’avec l’arrivée d’Internet, les marques sont maintenant capables de créer des contenus sans avoir à attendre qu’un média daigne s’intéresser à eux. Elles peuvent créer des plateformes (Coca-Cola) et des événements (Red Bull) qui font leur promotion et c’est très acceptable. »

« Mais parce ce qu’elles ont l’argent et le pouvoir, ces méga-marques ont aussi la possibilité de tuer la compétition en tassant les plus petits et fragiles joueurs du marché. Leur omnipotence vient ultimement appauvrir l’espace consacré à l’information et l’espace public, » termine Mme Mallia.

BuzzFeed

buzzfeed-logoÉvidemment, le problème éthique se pose lorsque la marque vient à neutraliser toute critique légitime dans un média du fait qu’elle finance le contenu lui-même. Le site « média » BuzzFeed, que tous les panélistes ont cité à un moment ou un autre de leur présentation, symbolise cette confusion des genres.

« Si les publicitaires et autres médias à la sauce BuzzFeed tentent de camoufler la promotion d’un produit dans un contenu commandité à facture éditoriale – traitement faussement journalistique d’un thème dont la finalité est de rendre le produit attrayant, et ce même s’il n’est pas nommé dans le texte -, disait Kathleen Bartzen-Culver, c’est probablement que la crédibilité des journalistes vaut encore son pesant d’or aujourd’hui dans notre société. »

« Même des journaux aussi prestigieux que le New-York Times et le Washington Post s’adonnent aujourd’hui à une forme insidieuse de marketing indigène en entretenant le flou entre les genres, précise M. Basen. Les adeptes de ce type de marketing font le pari que le lectorat sera plus réceptif si la publicité est intégrée clandestinement plutôt qu’imposée. Mais est-ce éthiquement acceptable de ne pas leur mentionner clairement qu’il s’agit en vérité d’un publireportage déguisé? » Posez la question, c’est y répondre.

Site Internet du congrès, lequel s’est tenu à Montréal entre les 6 et 9 août dernier à l’hôtel Sheraton.

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