Femmes de l’industrie: entrevue avec Danièle Henkel
Isarta Infos rencontre Danièle Henkel, PDG de son entreprise éponyme, et Dragonne appréciée pour ses valeurs humaines et son sens aigu des affaires. Cette femme de tête, récemment récompensée lors du 15e Prix des Femmes d’affaires du Québec*, nous parle d’entrepreneuriat, d’humilité, de confiance en soi et de parité.
Vous êtes arrivée au Québec en 1990, avec mari et enfants, après avoir vécu en Algérie**. Sept ans plus tard, vous fondiez votre entreprise. Aviez-vous déjà en tête, à votre arrivée, de vous lancer en affaires?
Danièle Henkel: pas du tout. Lorsque j’ai débarqué à Montréal avec ma famille, mon premier objectif était de trouver un travail pour la faire vivre! J’ai eu un premier emploi, qui était très mal payé: évidemment, j’étais déçue, car j’avais fait des études, et déjà travaillé. Mais au lieu de m’apitoyer sur mon sort, j’ai décidé de trouver la solution pour m’en sortir, MA solution.
En travaillant avec et pour les autres, j’ai appris, observé, écouté, compris le système. Cela m’a pris sept ans: un véritable ré-apprentissage de vie, tant du point de vue personnel que professionnel. Et puis à un moment donné, j’ai dit «OK, maintenant, je me lance!». Cela a encore pris du temps et beaucoup de persévérance, car je voulais aussi que les autres comprennent mon histoire, d’où je viens et pourquoi j’en suis là.
Avec du recul, je me dis que j’ai finalement toujours été entrepreneur dans l’âme, mais que je n’avais jusqu’alors pas eu l’occasion de le mettre en pratique, et que je n’avais certainement pas non plus la sagesse suffisante.
Auriez-vous des conseils à donner aux femmes qui, comme vous, souhaiteraient monter leur entreprise?
D.H.: je leur dirais que ce n’est pas une mode, et certainement pas un exercice d’apprentissage agréable. J’insiste sur ce point car, quand on démarre, on a la passion, l’excitation, et il ne faut pas confondre cela avec l’idée que tout va être facile. C’est une décision qui doit être mûrement réfléchie, car elle change la vie.
Être patron demande du caractère, une carapace, et surtout être sûr que c’est ce que l’on veut vraiment, et ce malgré les obstacles et les échecs auxquels il faudra faire face. Ayez de la compassion, de l’amour pour vous. Mais surtout, ayez confiance en vos capacités.
«Se lancer en affaires n’est certainement pas un exercice d’apprentissage agréable. Il faut avoir confiance en ses capacités»
Vous parlez d’obstacles et d’échecs: sont-ils inévitablement au menu lorsque l’on se lance en affaires?
D.H.: oh oui! Mais l’échec est utile. Réussir, c’est bien beau, mais garder la tête droite lorsque l’on tombe dans la boue, là c’est autre chose! Derrière le succès se cachent de nombreux sacrifices, de la souffrance même. Il faut en être conscient et être certain que l’on sera capable de s’en sortir. Après tout, nous sommes humains, on a le droit de tomber.
L’humanité est une valeur à laquelle vous tenez beaucoup?
D.H.: c’est simple, je suis incapable de partager quoique ce soit avec quelqu’un si je ne suis pas touchée, émue. J’ai besoin de ce côté humain. Je me demande toujours quel sera l’impact de mes actions sur la société, si je vais participer, à mon niveau, à la rendre un peu meilleure.
Finalement, si on revient à l’essentiel, nous ne sommes qu’une immense chaîne humaine qui se tient la main, peu importe notre couleur, notre origine, notre talent… Qui sommes-nous pour juger l’autre? Je trouve qu’on oublie trop souvent le mot «compassion».
Est-ce que ce côté humain influence vos choix dans l’Oeil du Dragon?
D.H.: oui, j’ai envie d’avoir en face de moi quelqu’un qui a de bonnes valeurs, qui sera capable de tenir debout quoiqu’il arrive et me persuadera que son idée est viable.
«L’échec est utile. Derrière chaque succès se cachent d’énormes sacrifices, de la souffrance même»
Vous étiez maman de quatre enfants lorsque vous avez lancé votre entreprise. Avez-vous une recette pour concilier vie privée et vie professionnelle?
D.H.: je ne pense pas qu’il y ait de recette générique. Chacun est unique: ce qui s’applique à une personne peut ne pas correspondre à une autre. La question de la conciliation famille-travail est tellement personnelle, et tellement relative aussi, qu’elle ne peut appartenir qu’aux personnes concernées.
La seule chose dont je suis persuadée, c’est qu’un couple est constitué de deux individus qui ont leurs propres besoins, et que la communication est indispensable. Chacun doit pouvoir exprimer ses envies et ses rêves à l’autre, avec respect, et lui demander «veux-tu m’accompagner, dans les hauts comme dans les bas?».
En tant que femme entrepreneur, pensez-vous que la parité soit pour bientôt?
D.H.: je ne peux pas vous assurer qu’elle sera pour demain. En revanche je peux vous dire qu’on va y arriver, et plus tôt qu’on ne le pense. Le sujet de la parité est un combat mené depuis longtemps, et gagné pas à pas par des femmes extraordinaires. La nouvelle génération de femmes prend tranquillement confiance en son pouvoir de décision, elle réalise qu’elle a son mot à dire.
Encore faut-il qu’elle le fasse en se rapprochant de son essence, avec féminité au sens de l’entité femme qu’elle est. Humaine, attentive, sensible, droite et forte. Il ne s’agit pas de chercher à agir comme un homme, mais bien d’agir comme une femme et faire aussi bien, sinon mieux.
«Il ne s’agit pas de chercher à agir comme un homme, mais bien d’agir comme une femme et faire aussi bien, sinon mieux»
Vous avez récemment publié votre deuxième livre, Au coeur de mes valeurs. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?
D.H.: à mon humble avis, il s’agit de la suite logique de mon premier ouvrage, où je parlais essentiellement de moi, afin que les gens comprennent mon histoire et d’où je viens. Je voulais leur dire: «si je l’ai fait, toi aussi tu peux!». Et puis, j’ai reçu beaucoup, beaucoup de questions de mes lecteurs. Des questions sur les affaires, mais avec souvent un pendant personnel, comment avoir confiance en soi, etc.
De nous jours, on parle sans cesse de «conseil». On oublie complètement le questionnement: on présume, on imagine, on se dit que… Mais pourquoi ne pas poser la question? Qui suis-je, comment mes enfants me voient, suis-je heureuse? Comment exister si l’on n’a même pas conscience de son existence!
Mon livre ne donne pas de conseils, je n’y fais qu’un exposé des choses qui me frappent dans ce Québec que j’adore, et que l’on veut amener vers la réussite économique en oubliant de penser d’abord à être humain. J’y parle de valeurs, et je reviens sans cesse vers mon lecteur en lui demandant: «et toi, qu’en penses-tu?».
Photo: Michel Cloutier Photographe.
*Danièle Henkel est la lauréate du prix «Réalisations», qui lui a été remis lors des 15e Prix Femmes d’affaires du Québec.
**Voyez cet article pour en savoir plus sur l’incroyable parcours de Danièle Henkel.
Commentaires (1)