Qu’est-ce qu’un prix juste?
Par François Nadeau
La théorie économique est claire: lorsque la demande dépasse l’offre, une hausse de prix est censée ramener graduellement à l’équilibre en poussant la demande à la baisse et l’offre à la hausse.
Ce mécanisme est logique, mais est-il toujours bénéfique lorsqu’une entreprise décide de l’appliquer?
Lorsqu’une catastrophe naturelle frappe une région précise, les liens avec l’extérieur peuvent être limités et certaines ressources deviennent rares.
Dans ces cas-là , une entreprise pourrait décider de monter ses prix jusqu’à ce que la demande égale l’offre. En réalité, celles qui ont osé de telles actions dans le passé ont été pointées du doigt et accusées de faire du profit avec le malheur.
Le cas d’Uber
Une des pratiques d’Uber est appelée la majoration tarifaire (surge price). Celle-ci consiste en une majoration des prix lors de périodes de fortes affluences.
Cette tactique servirait notamment à inciter certains conducteurs autrement inactifs à se joindre momentanément à la flotte pour combler la demande durant cette période. Uber a souvent été blâmé pour cette pratique, et ce même si le prix majoré est connu au préalable par le client.
Amazon a aussi essuyé des critiques dans le passé pour son système de prix dynamique, où le montant à payer varie selon le profil du cyberacheteur.
Dans les cas précédents, le fait de hausser les prix en raison d’une hausse accrue de la demande ou de la valeur relative qu’accorde un consommateur à un produit est jugé négativement.
À l’inverse, dans certaines situations, des prix relativement élevés ne semblent pas soulever autant de controverses. Pensons notamment au prix d’une boisson alcoolisée au Centre Bell, pratiquement deux fois plus élevé que prix à payer au bar du coin.
Qu’est-ce qu’un prix juste?
Dans quelles circonstances un prix est-il perçu comme juste?
Dans les trente dernières années, de nombreux chercheurs ont attaqué la question du «juste prix». Leurs recherches ne peuvent donc se résumer en quelques lignes. Deux d’entre eux ont toutefois publié des ouvrages traitant de la question.
Dans le livre The Price is Wrong, l’auteure et chercheuse Sarah Maxwell rappelle que la notion de juste prix se décline en deux volets.
D’abord, le prix peut être ou non acceptable au sens où il reflète bien le rapport qualité-prix attendu par l’acheteur. Ensuite, il peut ou non être jugé comme juste au sens où il convient aux normes établies. Or, celles-ci peuvent varier d’un endroit à l’autre: en Inde par exemple, il est jugé normal qu’un touriste paie plus cher que la population locale pour visiter des attractions touristiques; dans d’autres pays, il est convenu d’avoir à payer pour l’usage de condiments lors d’un repas au restaurant.
Richard Thaler, chercheur en économie comportementale, a consacré une partie de son livre à succès Misbehaving à la notion de prix juste.
Tout comme Sarah Maxwell, il s’attarde à l’importance du contexte. Son ouvrage relate notamment une expérience où des étudiants étaient prêts à payer pratiquement deux fois plus cher pour la même bière, selon qu’elle provienne d’un hôtel prestigieux ou encore de l’épicerie du coin.
Pour eux, il était donc normal d’avoir à payer plus cher pour un produit identique selon le prestige de l’endroit où il était vendu.
D’après les recherches de Thaler, menées au milieu des années 80, les consommateurs jugeraient plus honnête qu’une entreprise augmente ses prix du fait d’une hausse des coûts, plutôt qu’en raison d’une hausse de la demande.
Comme le souligne Maxwell dans The price is Wrong, Thaler rappelle qu’une organisation exigeant des prix jugés déraisonnables prend le risque de perdre des clients ou d’être victime de publicité défavorable.
Parfois, le client se punira lui-même dans cette démarche, comme par exemple un automobiliste parcourant une longue distance et attendant en file plusieurs minutes pour épargner deux sous par litre d’essence, simplement parce qu’il refuse de s’approvisionner à une station affichant un prix plus élevé que les autres.