Sept conseils pour concevoir une bonne publicité sociale – Partie 1/2
Par Pascal Pelletier
La publicité sociale, dite aussi sociétale, vise à inciter la cible à adopter un comportement : cesser de fumer, exiger des factures pour décourager l’évasion fiscale, passer une mammographie aux deux ans quand on est une femme âgée de plus de 50 ans, etc.
Ce genre de communication est généralement issu d’un gouvernement, mais souvent aussi d’une autre institution. Par exemple, une fondation œuvrant à la lutte contre le cancer peut lancer une campagne contre le tabagisme, et un ordre professionnel, comme celui des dentistes, concevoir de la publicité dans le but d’encourager de bonnes habitudes pour une dentition en santé.
Les entreprises commerciales donnent aussi parfois dans ce genre – mais non sans risque pour la portée du message : si une chaîne de pharmacie encourage les citoyens à se mettre de la crème solaire quand ils s’exposent au soleil, c’est bien sûr parce qu’elle espère que nous achèterons cette crème dans ses magasins.
La démarche n’en est pas moins louable, même si le public en a compris les motivations lucratives, mais elle peut paraître alors moins crédible que si elle provenait d’un groupe qui n’attend aucunes retombées financières de ses publicités sociales.
Cette constatation s’applique donc également aux ordres professionnels : merci de nous donner de bons conseils pour la santé de nos dents, mais nous comprenons aussi que vous souhaitez nous voir prochainement dans les cabinets des membres de l’Ordre des dentistes… Même une fondation, qui est pourtant à but non lucratif, peut provoquer ce genre de réflexion : vous voulez que j’arrête de fumer et… que je vous fasse un don pour la recherche sur le cancer du poumon?
C’est pourquoi, par définition, la publicité sociale la plus crédible provient forcément d’un groupe qui dirige et gère la société, donc d’un gouvernement. Encore faut-il que la population juge que celui-ci ait lui-même de la crédibilité et donne l’exemple. Mais ce sont là des questions dont on a tant parlé, au Québec, ces dernières semaines, que je n’ai pas envie d’en rajouter…
Ces remarques mettent en relief ce qui différencie fondamentalement la publicité sociale de la publicité commerciale : cette dernière veut vendre; pas la première, qui cherche à ce que la cible prenne une bonne habitude. L’annonceur commercial vise son propre profit; la publicité sociale, le profit de la cible, grâce au comportement que celle-ci devrait adopter. Or, dans ce cas, le profit est rarement réalisé à court terme, en plus de n’être pas toujours tangible.
Ainsi, contrairement à la publicité commerciale, qui fait miroiter à la cible une gratification immédiate, la publicité sociale parle souvent d’un comportement dont les bons effets se feront sentir à moyen et à long terme et qui exige une privation pour les citoyens. Oui, vous devez renoncer à vos cigarettes, mais dans quelques semaines, vous ne ressentirez plus l’état de manque et serez en meilleure santé. Exigez maintenant des factures et plus tard, si tout le monde le fait, il y aura moins de travail au noir et, peut-être, moins d’impôts.
1. Jouez les 4 As de Gerard Hastings
Gerard Hastings, directeur du Institute for Social Marketing, a remplacé les 4 P du mix marketing (produit, prix, place et promotion) par 4 As : attrayant, abordable, accessible et apprécié, chacun correspondant à une qualité qu’une bonne publicité sociale doit si possible démontrer.
Attrayant. Il s’agit d’indiquer les avantages que le comportement donnera aux personnes qui l’auront adopté. Ne les présentez pas de façon générale ou vague, comme « faire de l’exercice vous donnera une meilleur santé », mais avec précision et, pourquoi pas, en les quantifiant : « Faire de l’exercice vous donnera plus d’énergie et facilitera votre sommeil. Saviez-vous que seulement 20 minutes d’exercice par jour pourraient tenir éloignés le cancer et les maladies cardio-vasculaires, en plus de vous faire gagner 15 % en productivité? etc. »
Je viens d’évoquer les difficultés inhérentes à de nombreux comportements que vend la publicité sociale : une privation et des avantages qui ne sont pas immédiats. Lorsque la promotion d’un comportement présente ces difficultés, il est rare que l’annonceur les mentionne, tant elles sont importantes. Je doute de l’efficacité d’une campagne anti-tabac qui dirait aux fumeurs : « Au bout de trois mois, vous ne sentirez plus l’état de manque », indiquant ainsi et la privation et la longueur du désagrément associé à celle-ci. Mettez alors de l’avant les avantages du comportement à adopter, pas ses difficultés.
Toutefois, il arrive que certains annonceurs abordent ces dernières de front, en recourant alors à l’humour – un procédé rarement employé en publicité sociale (voir le 4e conseil). C’est le cas de cette charmante pub télé, mettant en scène une agente de bord dans un avion. La jeune femme, qui essaie d’arrêter de fumer, est incapable, tant elle aurait envie d’en griller une, de réfréner auprès des voyageurs ses accès d’irritabilité, voire de colère – des accès rigolos pour nous mais qui se traduiraient normalement, dans la vie réelle, par le congédiement de l’agente. Heureusement, grâce à ce timbre de nicotine, tout rentrera dans l’ordre…
Cette annonce a ceci d’intéressant qu’elle associe au comportement auquel il faut renoncer, fumer, des désavantages honteux pour les fumeurs : cette agente de bord a été méchante, ridicule et non professionnelle… Et vous, qui fumez aussi, est-ce cela que vous voulez pour vous?
Voilà qui fonctionne en publicité sociale, car on touche alors à une corde très sensible chez l’être humain : personne ne veut être faible ou ridicule. Et si on sait, par une annonce, qu’on peut l’être, on est habituellement disposé à faire des efforts pour adopter un meilleur comportement ou, du moins, à être attentif au message et à y penser.
Dans le même ordre d’idées, personne ne veut non plus être pris en faute, coupable. C’est cette corde, la culpabilité, qu’a déjà fait vibrer le Directeur général des élections pour inciter les citoyens à aller voter : « Les absents ont toujours tort ».
L’inverse fonctionne aussi, soit d’attribuer aux gens les plus importantes qualités humaines s’ils adoptent le comportement. Dites à vos cibles qu’elles sont intelligentes et bonnes. « Mon épouse et mes enfants seraient tellement contents que je perde du poids. » Une telle approche a aussi l’avantage d’occulter les difficultés liées à la prise de la bonne habitude.
Comme en publicité commerciale, il ne faut donc pas hésiter à flatter la cible et à lui faire miroiter la possibilité qu’elle peut, en adoptant le comportement, accéder à une classe supérieure. C’est d’ailleurs ce que font les fondations à l’égard de leurs donateurs les plus généreux en créant pour eux des titres comme Grands donateurs, Bienfaiteurs, etc.
Abordable. C’est le fait de montrer que le comportement est facile à adopter, en n’exigeant pas trop d’efforts physiques ou psychologiques, quand, bien sûr, c’est le cas : « Attacher votre ceinture de sécurité en auto, ça se fait en deux secondes et un clic! »; sinon, il vaut mieux se concentrer sur les avantages.
Accessible. C’est la continuité de la qualité précédente : non seulement le comportement est facile à adopter, mais la cible doit se sentir personnellement capable de le faire. « Faire de l’exercice, ça peut être aussi simple que se choisir, à côté de chez soi, un beau trajet de promenade de 20 minutes et le parcourir chaque jour d’un bon pas. C’est tout! Et ça changera votre vie. »
L’annonceur peut aussi concevoir des procédures ou des outils qui faciliteront l’adoption du comportement. Ceux-ci peuvent être financiers, comme le remboursement des timbres de nicotine par le gouvernement aux usagers, ou logistiques, ainsi que le montre le cas suivant, au sujet du Programme québécois de dépistage du cancer du sein (PQDCS) : toutes les Québécoises, lorsqu’elles atteignent l’âge de 50 ans, et tous les 2 ans ensuite, reçoivent par la poste une lettre d’invitation à participer à une mammographie de dépistage du cancer du sein.
Or, comme l’indique le ministère de la Santé et des Services sociaux, « l’originalité du Programme québécois de dépistage du cancer du sein est que la lettre d’invitation, en plus de donner aux femmes toute l’information et les numéros de téléphone nécessaires à la prise de rendez-vous, constitue une prescription en soi. Elle permet aux femmes de demander directement une mammographie de dépistage. » On a donc mis tout en œuvre pour que chaque Québécoise puisse aller passer facilement et rapidement les mammographies.
Apprécié. C’est mettre de l’avant les bons résultats issus de l’adoption du comportement, en mettant l’accent sur le plaisir qu’il génère : « Depuis que j’ai perdu du poids, je peux faire tellement plus de choses : me promener dans la nature, jouer au tennis avec mes amis… et donner plus de bisous! » Encore une fois, on peut occulter les difficultés initiales de la pratique du comportement : il a sans doute fallu beaucoup d’efforts à ce donneur de bisous pour perdre du poids, mais il ne nous l’a pas dit, préférant parler de plaisir.
2. Proposez une solution réaliste et claire
Dans son livre La Publicité sociale, coécrit avec Pénélope Daigneault, Claude Cossette rapporte des études ayant montré « que ce sont les publicités présentant une solution claire et réaliste à la menace qui sont les plus efficaces ». La menace, vous l’aurez deviné, est constituée des difficultés dont nous avons parlé : une privation pour la cible et le fait que les avantages pour celle-ci ne sont pas immédiats.
« Mon papa aime les post-its. Je lui en ai mis un au-dessus du tableau de bord de son auto pour lui rappeler de mettre sa ceinture de sécurité. » La solution est amusante mais efficace et réaliste.
Si possible, la bonne pub sociale ne doit donc pas se contenter de parler d’avantages, mais proposer aussi une façon simple d’adopter le comportement qui les générera. Cesser de fumer, oui, mais comment? Par un timbre de nicotine. Et pour faire de l’exercice? Parcourez chaque jour d’un bon pas votre beau trajet de promenade de 20 minutes. Donnez une bonne idée, un moyen, un cheminement à la cible pour qu’elle adopte le comportement.
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