Marketing de cause: le risque d’offrir des milles aériens en échange d’un don de charité Reviewed by Pascal Pelletier on . Cet automne, la Croix-Rouge canadienne a offert à ses donateurs 10 milles Aéroplan pour chaque dollar de don fait avant le 30 septembre 2014. Le fond et la form Cet automne, la Croix-Rouge canadienne a offert à ses donateurs 10 milles Aéroplan pour chaque dollar de don fait avant le 30 septembre 2014. Le fond et la form Rating: 0

Marketing de cause: le risque d’offrir des milles aériens en échange d’un don de charité

Par

vector handsCet automne, la Croix-Rouge canadienne a offert à ses donateurs 10 milles Aéroplan pour chaque dollar de don fait avant le 30 septembre 2014. Le fond et la forme de cette offre laissent l’auteur de ce texte perplexe, pour ne pas dire mal à l’aise, et il est loisible de croire que les organismes philanthropiques prennent un risque énorme sur la plan de la fidélisation de leurs donateurs s’ils décident de mêler une telle stratégie commerciale à une sollicitation de dons. Voici pourquoi.

Un client qui m’a appris beaucoup m’a rappelé un jour que le plus grand danger des promotions commerciales était de fidéliser les clients à la promotion, et non à l’entreprise qui l’offre : la clientèle profite de la promo et… attend la suivante pour faire un autre achat. Cela ne les attache donc pas à l’entreprise. Or, ce danger me semble particulièrement élevé quand il s’agit non pas de consommateurs mais de donateurs à une cause, et spécialement de donateurs du Québec.

En effet, la majorité des personnes soutenant financièrement des organismes philanthropiques estiment avoir fait leur devoir envers ceux-ci quand elles leur ont fait un don par an. De plus, tous les experts en collecte de fonds vous le diront : les Québécois francophones sont les pires donateurs en Amérique du Nord, les moins généreux et fidèles aux bonnes causes. Par conséquent, compte tenu d’un cycle de transaction annuel et de tels donateurs, il y a fort à parier que ces derniers, face à une offre de recevoir des milles aériens en contrepartie d’un don :

  1. profiteront effectivement de cette « promotion philanthropique » pour faire leur don total annuel à l’organisme;
  1. attendront donc l’an prochain pour faire un nouveau don… à condition que ce soit dans le cadre du retour de cette promotion ou d’une nouvelle offre, aussi attrayante.

Je crois donc au succès à très court terme de cette stratégie, mais pas à moyen ou à long terme. Car il ne s’agit pas d’un cadeau comme ces primes insérées dans les publipostages de sollicitation : stylos, étiquettes auto-collantes, calendriers, etc., tant la différence de valeur entre ceux-ci et des milles aériens est grande ou semble l’être. Relisez ce courriel : alors que, « pour obtenir 1000 milles Aéroplan, il vous faut normalement dépenser entre 600 $ et 1000 $ (…) avec l’offre de 10 X les milles Aéroplan, vous obtenez autant de milles sur un don de 100 $ que sur un achat de 1000 $, soit 1000 milles Aéroplan ».

C’est cela, au fond, que je trouve le plus inquiétant: augmenter ainsi tellement la valeur de l’incitation au don que cette valeur suffit à compenser celui-ci, comme si on n’avait plus besoin de la générosité du donateur. N’est-il pas écrit au début du courriel : «Nous avons trouvé un excellent moyen de vous permettre de donner et de recevoir en même temps »?

Je ne crois pas que ce soit ainsi qu’on bâtit chez le donateur – et spécialement s’il est québécois francophone – ce que Bruno Viard nomme l’« appât du don », basé sur la générosité et non sur la promesse d’un gros cadeau; cette « injonction à donner qui se manifeste spontanément chaque fois que l’homme rencontre son semblable ».

Bien sûr, je continuerai de respecter la Croix-Rouge canadienne malgré son offre de septembre 2014, tant elle fait un travail essentiel et aussi parce qu’elle sait pourtant jouer avec succès de cette clé qu’est de solliciter la générosité. D’ailleurs, je cite en exemples à suivre plusieurs excellents publipostages de cet organisme dans mon séminaire Écrire pour obtenir des dons, car ces documents disent d’une façon ou d’une autre, et très bien : « Ces sinistrés que nous avons aidés grâce à vos dons sont des gens comme vous », oui, vos semblables qui ont besoin de votre générosité…  

Mais, dans cette offre de septembre 2014, l’émotion est presque toute commerciale : « Avantageux, n’est-ce pas? (…) En faisant un don aujourd’hui même, non seulement vous faites le plein de milles Aéroplan, mais vous assurez aussi notre présence auprès des sinistrés lors d’une prochaine catastrophe. » En d’autres termes, non seulement vous gagnez gros, mais vous aidez autrui – ce second terme de la proposition n’étant, justement, que second… En fait, sur les 15 phrases du texte, seule une et demie, la demie étant cette seconde partie de la citation précédente, traite de l’emploi du don ou de la cause.

En outre, si l’attrait de la proposition de l’organisme semble tempéré par l’indication qu’« En raison de la nature de cette offre, la Croix-Rouge canadienne ne peut délivrer de reçu fiscal pour des dons jumelés à des milles Aéroplan », on peut alors se demander s’il s’agit vraiment de dons comme les autres, puisqu’il ne peuvent pas être considérés comme tels sur le plan fiscal. Ils peuvent donc ressembler davantage à un achat de milles aériens qu’à un don…

Enfin, comme le courriel précise aussi que « cette offre est la première du genre au Canda (sic) », elle est à suivre : fonctionnera-t-elle à court terme? Sans doute. Mais à moyen et à long terme, cela me semble moins sûr et j’espère vraiment que, pour créer au Québec une authentique culture philanthropique dont nous manquons si cruellement, cette stratégie ne fasse pas de petits…

Retour en haut de la page