« Leur modèle d’affaires est basé sur le pillage systématique de contenus protégés » : Pourquoi La Presse poursuit OpenAI (ChatGPT) Reviewed by Kévin Deniau on . Patrick Bourbeau / La Presse (courtoisie) 3 décembre 2025 Le 24 novembre dernier, La Presse a révélé avoir déposé une poursuite contre OpenAI, l'entreprise derr Patrick Bourbeau / La Presse (courtoisie) 3 décembre 2025 Le 24 novembre dernier, La Presse a révélé avoir déposé une poursuite contre OpenAI, l'entreprise derr Rating: 0

« Leur modèle d’affaires est basé sur le pillage systématique de contenus protégés » : Pourquoi La Presse poursuit OpenAI (ChatGPT)

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Patrick Bourbeau / La Presse (courtoisie)

3 décembre 2025

Le 24 novembre dernier, La Presse a révélé avoir déposé une poursuite contre OpenAI, l’entreprise derrière ChatGPT, pour violation de droit d’auteur. Entrevue avec Patrick Bourbeau, son vice-président, affaires juridiques, afin d’en comprendre les raisons.

Plusieurs médias canadiens (CBC/Radio-Canada, The Globe and Mail, La Presse Canadienne, Postmedia et le Toronto Star) ont déposé une poursuite en novembre 2024 devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Pourquoi La Presse intente une procédure aujourd’hui, un an plus tard ?

Patrick Bourbeau : Tout simplement parce que le délai de prescription au Québec est de trois ans, tandis qu’il n’est que de deux ans en Ontario. ChatGPT 3.5 a été lancé pour le grand public le 30 novembre 2022 donc on avait jusqu’au 30 novembre 2025 pour déposer notre poursuite.

On a voulu prendre le temps de bien faire les choses, d’où l’attente jusqu’à la limite. Cela demande quand même une assez grande réflexion étant donné que ce sujet des grands modèles de langage est relativement nouveau et complexe.

Quelles sont les preuves que vous avez en votre possession qui montreraient que OpenAI s’est servi de vos articles pour ChatGPT ?

Patrick Bourbeau : On en a plusieurs. On a tout d’abord procédé à des tests dès le lancement de la plateforme. On donnait des prompts à ChatGPT et il nous répondait à partir de contenus de La Presse.

Nous avons aussi fait faire une étude informelle à travers un bureau d’avocats américain, celui qui représente le New York Times dans sa poursuite contre OpenAI également. Elle démontrait clairement que notre contenu était utilisé par OpenAI.

À partir de ce moment, on a conservé les logs d’accès à notre site Web. Et, là encore, on voit littéralement des milliers et des milliers de visites des robots d’OpenAI. Même après qu’on les ait exclus avec le protocole robot.txt. OpenAI prétend qu’un éditeur de site n’a qu’à inscrire sur son site le fichier robot.txt pour ne pas que ses robots récupèrent le contenu. C’est complètement faux ! Ils ne respectent pas du tout ce qu’ils disent. On peut en faire la démonstration en montrant tous les logs collectés.

On a mis en place ensuite une sorte de mur (NDLR : solution WAF dans Amazon Web Services) à partir du 2 septembre 2025. Et même là, OpenAI trouve le moyen de contourner cet obstacle en simulant des navigateurs.

Tout le monde peut faire le test. Si vous demandez à ChatGPT « Quelles sont les cinq principales nouvelles sur le site Web de La Presse ? », il va répondre.

On a fait un tableau d’ailleurs entre des textes originaux de La Presse et des réponses générées par ChatGPT. Il n’y a à peine quelques mots qui changent, mais substantiellement, c’est le contenu de La Presse reproduit de façon intégrale.

Avez-vous eu des liens avec OpenAI, notamment pour esquisser des tentatives d’arrangement comme on le voit dans d’autres pays avec des médias qui ont conclu des ententes financières ?

Patrick Bourbeau : Je ne peux pas parler de tentative d’arrangement, je ne peux même pas qualifier cela de discussion. Au mieux, je peux qualifier cela de tentative de contact. Il y a eu quelques courriels d’échangés avec OpenAI, mais c’est complètement resté lettre morte de leur côté.

À ce jour, il n’y a aucun média canadien qui a conclu d’entente avec une plateforme d’IA. Je ne peux pas donner vraiment la raison, on ne peut que supputer à ce stade, mais, ce que l’on constate, c’est que, pour le moment, ces ententes sont conclues par les plateformes sur de gros marchés (États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne).

Je me suis déjà fait dire par des anciens employés de ces plateformes d’IA qu’un marché comme le Canada n’était même pas sur le radar, comme il était trop petit. Donc je vous laisse imaginer le marché québécois avec du contenu francophone. Il n’y a donc visiblement pas d’intérêt à conclure des ententes de leur côté.

Et je dois dire que de notre côté, nous n’avons pas non plus cet intérêt. Ce n’est pas notre objectif. On ne veut pas tomber dans le même piège que celui dans lequel sont tombés les médias il y a 20 ans avec l’arrivée de Facebook et Google. Certains ont conclu des partenariats avec eux et ils se sont mis à la merci de ces plateformes. Il ne faut pas commettre cette erreur encore une fois.

Que demandez-vous concrètement à OpenAI et aux autres plateformes d’IA (Anthropic, Perplexity etc.) ?

Patrick Bourbeau : Déjà, il faut savoir que nous avons décidé de poursuivre uniquement OpenAI pour des raisons financières. Nos ressources ne sont pas inépuisables, on doit choisir nos combats. D’où cette poursuite envers le plus gros joueur sur le marché.

Le but n’est pas d’être rémunéré par une entente commerciale. Le but, c’est vraiment d’être compensé pour l’utilisation qu’ils ont fait de notre contenu afin de construire leur modèle de langage qui a contribué à bâtir une compagnie valorisée 500 milliards de dollars aujourd’hui.

Leur modèle d’affaires est basé sur le pillage systématique de contenus protégés par droit d’auteur, dont celui de La Presse.

Avez-vous eu des discussions avec d’autres médias québécois ?

Patrick Bourbeau : Il y a eu des discussions très préliminaires mais qui n’ont pas abouti. Nous n’avons pas pu nous joindre à la poursuite des médias anglophones en Ontario, malgré les échanges que nous avions avec eux à ce moment, étant donné que les conditions de notre site Web prévoient que toute poursuite doit être intentée au Québec. On ne pouvait pas le faire en Ontario, on courait trop de chances qu’elle soit rejetée.

Quel est votre point de vue plus globalement sur ce bouleversement de l’IA générative. Est-ce que cela vous fait peur pour votre modèle d’affaires ?

Patrick Bourbeau : Je ne dirais pas que ça nous fait peur. On ne peut pas être contre l’innovation et on reconnaît le potentiel de l’IA. Si le développement de ces plateformes se fait de façon légale en compensant les créateurs de contenus pour l’utilisation de leur production, nous n’avons aucune objection.

Par contre, on n’a pas l’intention de conclure d’entente avec une plateforme d’IA car on veut conserver un lien direct avec nos lecteurs. On ne veut pas que les lecteurs puissent consulter notre contenu sur des plateformes étrangères. Même dans le meilleur des cas, on perdrait une partie des revenus. Nous misons beaucoup sur le lien avec nos lecteurs. C’est ce qui fait le succès de la presse, je pense.

Notre intention, c’est de développer nos propres outils d’IA qu’on va pouvoir offrir à nos lecteurs. Je n’ai pas d’annonce à faire à ce sujet mais une réflexion est amorcée à ce sujet.

À quoi vous attendez-vous désormais ?

Patrick Bourbeau : Nous ne sommes pas les premiers à avoir intenté une procédure contre OpenAI, donc on commence à voir leur modus operandi qui semble être d’étirer au plus possible les procédures judiciaires. On s’attend donc à un combat assez long.

À ce jour et à notre connaissance, OpenAI n’a jamais réglé une poursuite hors cour. La seule plateforme qui l’a fait, c’est Anthropic, l’éditeur de Claude, qui a réglé une procédure collective contre 1,5 Md$. On pense qu’OpenAI va mener au moins un ou deux dossiers jusqu’au bout pour voir ce que la justice va en penser, avant de prendre une décision.

Sachant qu’aux États-Unis, leur ligne de défense s’appuie sur la notion de fair use, l’utilisation équitable du contenu.

Patrick Bourbeau : Cette notion existe en droit canadien mais elle est beaucoup plus restreinte. Ce qui veut dire que même si les jugements américains étaient défavorables aux créateurs de contenus, cela ne pourrait pas servir de précédent au Canada. Leur argument ne tiendrait pas la route ici.




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