Astroturfing: le point sur une stratégie marketing douteuse
L’astroturfing, expression qui fait référence au gazon artificiel, est une méthode marketing frauduleuse, qui consiste à faire passer pour un mouvement citoyen ce qui ne l’est pas. Le point sur ce phénomène grandissant.
La Toile des Communicateurs accueillait, le 27 avril dernier, Sophie Boulay, formatrice, consultante et auteure de l’essai «Usurpation de l’identité citoyenne dans l’espace public: astroturfing, communication et démocratie».
L’objectif de sa conférence était de définir cette stratégie de communication et de faire prendre conscience des impacts qu’elle a sur une entreprise et les consommateurs.
Le terme astroturfing fait référence à du gazon artificiel: il consiste à simuler des initiatives citoyennes pour faire adhérer le consommateur à une cause. Une quête d’acceptabilité sociale, en somme, mais opérée par des voies discutables.
Les gens qui décident de prendre cette avenue délicate le font parce qu’ils sont convaincus que s’ils parlent avec leur vrai visage, leur message sera moins bien reçu que s’il vient d’un citoyen. Ils font de l’astroturfing pour que les barrières à la réception tombent», explique Sophie Boulay.
Pour qu’une stratégie marketing soit considérée comme de l’astroturfing, il faut se poser deux questions:
- la source réelle de l’information est-elle cachée?
- cette source porte-t-elle un masque citoyen?
Car le recours à un porte-parole, la commandite ou encore l’utilisation du marketing de contenu (où la source est occultée) ne sont pas des pratiques frauduleuses: l’entreprise ne prétend pas dans ces cas-ci être une initiative citoyenne.
L’astroturfing est également appelé « bear hugging »: une façon imagée d’illustrer comment une entreprise s’immisce, grâce à des apports financiers, dans un groupe citoyen. Le problème, c’est qu’il est très difficile de prouver que par son argent, elle contrôle les décisions de ce groupe», indique Mme Boulay.
Autre terme existant pour définir cette pratique: le similitantisme. Une expression bien trouvée puisqu’elle résume bien l’affaire: simuler du militantisme réel et authentique. En communication marketing, on parle également de désinformation populaire planifiée.
La principale forme d’astroturfing en marketing n’est autre que les faux témoignages.
Les sites dont c’est la raison d’être, comme Trip Advisor, ont développé des outils pour se prémunir des faux avis de consommateurs, et appliquent une politique stricte quant à l’authenticité des commentaires publiés. Ils prennent d’ailleurs le temps d’en informer les internautes car ils ont bien compris que s’ils perdaient leur confiance, il perdaient leurs revenus!».
L’astroturfing n’est pas la panacée des seules grandes entreprises: par exemple, un auteur qui fait anonymement la promotion de son ouvrage, tout seul dans son bureau, peut aussi être accusé de pratique frauduleuse. Et bien souvent, la délation passe par les réseaux sociaux.
Selon Sophie Boulay, les nouvelles technologies sont à double tranchant. D’un côté elles facilitent l’astroturfing, puisqu’il n’y rien d’inhabituel à cacher sa véritable identité en ligne, et qu’il est facile de créer un faux groupe de citoyen sur Facebook et/ou Twitter. De l’autre, elles facilitent également la délation.
Concrètement, se lancer dans l’astroturfing est assez simple: imaginons que vous soyez un industriel qui a besoin d’un appui citoyen pour mener à bien un projet controversé. Le temps de convaincre chaque citoyen un par un n’est pas une option pour vous? Il suffit de vous fabriquer cet appui de toutes pièces, en déployant tous les moyens possibles de communication.
On commence par créer un faux groupe de citoyens en ligne avec une page Facebook et un compte Twitter. On achète quelques followers, on crée des comptes latents qui re-tweetent nos publications et font en sorte que l’on devient une tendance sur le réseau social: c’est alors que l’on va intéresser les médias. On peut aussi embaucher de faux manifestants. Tout est bon pour faire croire que de vrais citoyens dépensent de l’énergie pour appuyer notre projet», explique Sophie Boulay.
On trouve généralement le plus d’astroturfing autour d’enjeux financiers et politiques importants – la conférencière cite notamment la loi Obamacare, qui a suscité l’intérêt de nombreux groupes politiques et industriels désireux d’orienter ce vote. Les secteurs de l’énergie, du tabac ou pharmaceutique ne sont pas non plus épargnés.
En cas de projet d’envergure, l’astroturfing devient une vraie machine de guerre: tout le monde s’y met», affirme Mme Boulay.
Et si tout le monde s’y met, c’est bel et bien parce que ça rapporte: la pierre angulaire de cette méthode est la voie citoyenne, qui jouit d’une crédibilité exceptionnelle en démocratie:
- auprès des gens, d’une part, car on accorde spontanément plus de confiance à un concitoyen qu’à une entreprise ou un relationniste
- auprès des gouvernements, d’autre part, car ils écoutent logiquement très attentivement ce que disent les foules
- par les médias, enfin, qui couvrent les rassemblements pour prendre le pouls de la population
Aujourd’hui, avec l’avènement des réseaux sociaux, impossible de poser des limites à l’astroturfing: Internet est son terreau le plus fertile, car en ligne, le consommateur est dans un état d’esprit qui facilite la réception du message, sans remise en question de la source, l’anonymat étant monnaie courante.
Ça a l’air facile, rapide et efficace mais la réalité, c’est que lorsqu’on se fait prendre, les conséquences sont très graves. Le couperet de l’opinion publique est sans pitié: c’est la réputation de l’entreprise qu’il faut reconstruire en entier, sa base de clients qu’il faut recréer entièrement», alerte Sophie Boulay.
Pour les professionnels de la communication, dont la réputation n’est pas toujours, il est vrai, très bonne, s’aventurer sur ce terrain est donc très préjudiciable. L’astroturfing pose un problème éthique, légal, un problème de société.
Ces stratégies frauduleuses minent le dialogue que l’on peine déjà à installer avec le public: en collaborant à l’astroturfing, on évince la vraie voix citoyenne car les médias disposent d’une place limitée, et notre attention est également restreinte», conclut la conférencière.
Christian Bolduc
Merci Aurore pour ce très bon texte. Je l’ai fait « spinner » dans les réseaux sociaux de La Toile des communicateurs. 🙂
Aurore Le Bourdon
Merci Christian! Encore une bien bonne conférence de la Toile!