Cherche clones désespérément!
Par Walid Kanzari - Groupe Everest
Le plus souvent, les entreprises souhaitent, a priori, recruter des profils diversifiés. Cependant, inconsciemment ou parfois consciemment, elles se retrouvent avec des candidats identiques, car les critères retenus au départ sont similaires et rigides. Walid Kanzari élabore sur le sujet dans cet article publié précédemment sur FacteurH.
16 novembre 2017
Le clonage est généralement défini comme une opération permettant d’obtenir une duplication strictement similaire d’une cellule vivante. Dans la pratique du recrutement, le clonage se présente sous une autre forme, moins scientifique certes, mais qui suscite autant de controverse. Il est aujourd’hui une pratique courante tant au sein des entreprises que dans les cabinets de recrutement. Bien que cette opération de reproduction des talents soit sécurisante pour les entreprises, elle n’en reste pas moins une pratique contestée par le fait qu’elle entraîne pour l’entreprise un manque de diversité, d’innovation et de créativité.
En effet, les entreprises clonant leurs meilleurs talents pensent pouvoir se prémunir de toute faille et s’assurer les meilleures performances. Cependant, elles négligent un aspect essentiel de la gestion d’équipe qui consiste en une complémentarité des talents favorisant l’interaction et l’échange d’idées et permettant l’innovation.
Changer ses habitudes
Lors d’une rencontre, il y a quelques années à Paris, la directrice ressources humaines, d’un important groupe français, me confiait que le nouveau président était scandalisé par la similarité des profils recrutés, particulièrement au sein de son équipe de direction: même école de commerce, même environnement social, même personnalité, même expérience, ce qui a tout simplement engendré les mêmes méthodes de travail, les mêmes stratégies et les mêmes discours stéréotypés provoquant un déficit de créativité et d’innovation pour l’entreprise.
Dans le même contexte, une associée dans un groupe de consulting international m’a avoué, il y a quelques mois, que les membres de son équipe sont arrivés au même constat, ce qui les a poussés à changer complètement leurs critères de sélection en variant les compétences et les aptitudes, et en diversifiant les profils recherchés, tout en prenant en considération le contexte actuel et les enjeux stratégiques du groupe à long terme. En effectuant ces changements, ils se sont rendu compte que les nouveaux profils recrutés sont moins performants à court terme. Ils ont décidé de pousser encore la réflexion et ils se sont rendu compte qu’en changeant leurs critères de sélection il fallait aussi changer les critères d’évaluation.
L’objectif d’une entreprise ne devrait pas être la recherche effrénée des leaders ou des hauts potentiels, mais plutôt la recherche de la complémentarité de différents profils. Une équipe de soccer composée entièrement de génies et de leaders à l’instar de Messi ou de Maradona ne remportera probablement jamais la Coupe du monde sans la complémentarité des compétences multiples et diversifiées dans les différents départements.
Le plus souvent, les entreprises souhaitent, a priori, recruter des profils diversifiés. Cependant, inconsciemment ou parfois consciemment, elles se retrouvent avec des candidats identiques, car les critères retenus au départ sont similaires et rigides. Certains critères, de plus en plus fréquents, ne font que freiner la diversité des équipes et bloquer ainsi la créativité et l’innovation au sein de l’entreprise. Ainsi, être issu du même secteur d’activité, avoir eu une expérience de travail, avoir travaillé dans un poste équivalent, ou encore, avoir étudié dans telle université sont autant de critères qui ferment la porte au renouvellement et à l’arrivée des compétences différentes.
Nous recherchons souvent des compétences pointues et rares, mais nous ne devons pas confondre cette recherche avec le clonage d’un leader dans l’entreprise ou du supérieur immédiat du poste vacant. Malheureusement, par crainte de faire un mauvais choix, par manque d’audace ou simplement par habitude, nous faisons un copier-coller des profils des autres employés en nous disant qu’on ne change pas une équipe qui gagne!
Souvent, les entreprises négligent le fait que le recrutement doit être envisagé dans une optique globale et non sur une description de tâches, parce qu’un recrutement stratégique doit absolument prendre en considération le contexte structurel et conjoncturel.
Diversifier les profils, c’est stratégique!
Il faut noter que dans un contexte économique de plus en plus concurrentiel, le clonage permet souvent un recrutement rapide avec moins de risques à court terme, une performance des candidats plus prévisible ainsi qu’une communication d’équipe plus facile entre personnalités ayant des parcours similaires, ceci engendre le plus souvent des organisations peuplées de clones.
Ce clonage systématique des profils prive malheureusement les entreprises de profils diversifiés, ce qui peut, à long terme, affecter la réactivité de l’entreprise ainsi que son adaptabilité et sa capacité à innover. Sans oublier que la réduction de possibilités de promotion des cadres augmente souvent le roulement à cause de la démotivation des «clones» recrutés. De plus, l’employeur se prive des nouvelles pratiques managériales et des approches diversifiées venant d’autres types de profil. Les équipes devenues non-complémentaires vont finalement manquer de créativité.
Pour parer au clonage, il est indispensable de repenser le recrutement en lui confiant une fonction stratégique avec des objectifs à long terme. Dans cette optique, l’entreprise doit être à la recherche des compétences, des talents et des potentiels capables de réaliser dans leur complémentarité les objectifs de l’entreprise. Ainsi, les critères tels que le parcours professionnel et scolaire restent des éléments à considérer, sans être toutefois déterminants, sachant qu’ils ne donnent qu’une vision très limitée du potentiel réel du candidat. Il faut aussi être vigilant face aux nouvelles modes en recrutement, réseaux sociaux, big data, moteurs de recherche, etc., qui, avec une utilisation automatique, favorisent encore plus le clonage au sein des organisations.
Dans un ouvrage célèbre, Patricia Pitcher, départageait, il y a quelques années déjà , le leadership dans l’entreprise entre ce qu’elle appelle les technocrates, les artisans et les artistes, des profils différents, parfois antinomiques, mais dont la complémentarité peut seule produire les succès de l’entreprise.
Alors, disons adieu au clonage et cherchons la différence!