Comment un jeune Français veut changer le monde avec des algorithmes
Bayes Impact est une ONG dont l’ambition n’est pas des moindres : utiliser la science des données et les algorithmes pour résoudre les problèmes de société tels que la santé, la justice ou encore le chômage.
À l’origine de cette idée, Paul Duan, un «idéaliste pragmatique» de 22 ans qui a fait ses classes entre autres à Berkeley (il est aussi passé par la prestigieuse école de Sciences Po Paris) et fait ses preuves en tant qu’analyste de données chez Eventbrite, à la Silicon Valley.
«Chez Eventbrite, où j’étais le tout premier analyste de données, j’ai créé des algorithmes pour réduire la fraude et les résultats ont vite été parlants. Je me suis demandé : si moi, Paul Duan, j’arrive à créer tout seul des algorithmes qui peuvent faire économiser à mon entreprise des millions de dollars par an et améliorer de façon quantifiable l’expérience de nos 20 millions d’utilisateurs, pourquoi ne pourrait-on pas utiliser la science des données pour aider la centaine de milliers d’utilisateurs des systèmes de santé du monde, ou ceux du système carcéral ? Ce sont finalement les mêmes techniques à appliquer à des problématiques différentes, et dont les impacts sont différents», a-t-il expliqué lors d’une présentation à l’Échappée Volée, en France, fin mai dernier.
En 2014, il crée donc son organisme à but non lucratif, Bayes Impact, qui a rejoint Y Combinator, le plus prestigieux des incubateurs de start-up américains.
Pour mener à bien ses ambitieux objectifs, Paul s’entoure de la crème de la crème des ingénieurs et des académiciens: il débauche des employés de Google ou de Facebook et certains de ses partenaires ont quitté leur PhD à Harvard pour se lancer dans l’aventure. L’ONG bénéficie d’ores et déjà du soutien de personnalités du monde de la data car, même si, de l’aveu de son fondateur, ce projet peut sembler naïf ou idéaliste, force est de constater qu’il convainc les pros.
Bayes Impact travaille sur différents projets, parmi lesquels l’optimisation des trajets des ambulances dans la cité de San Francisco, qui a fait le succès de l’ONG. Ce programme permet aux ambulanciers de savoir où se situe l’intervention la plus proche une fois qu’ils ont déposé un patient à l’hôpital.
Si une société comme Uber peut utiliser des algorithmes pour optimiser les déplacements de ses chauffeurs, rien ne nous empêche de faire de même avec les ambulances, et éviter ainsi que des gens meurent parce qu’ils ont attendu la leur trop longtemps!», s’exclame Paul Duan.
Toujours au rayon santé, Bayes Impact développe un logiciel open source pour le plus important système hospitalier américain, afin de prédire les risques de complication et de réadmission des patients. Une problématique qui, selon Paul Duan, affecterait aujourd’hui 10 millions de personnes et coûterait plus de 40 milliards de dollars chaque année aux États-Unis. En analysant les dossiers médicaux des patients, il est possible d’identifier à l’avance les individus à risque et de les traiter avant même qu’ils ne sortent de l’hôpital.
Dans un autre domaine, Bayes Impact collabore avec les états de Californie et de l’Indiana afin d’utiliser les mégadonnées dans les décisions de justice, notamment en ce qui concerne les décisions de mise en liberté conditionnelle.
Aux États-Unis, il y a environ 1 million de personnes par an qui passent en liberté conditionnelle ; mais le taux de récidive est de 2/3. Les décisions sont prises sur des critères approximatifs… Et pendant ce temps, les prisons sont à 200% de capacité ! Améliorer la prise de décision sur les libertés conditionnelles aurait un impact énorme sur la société, avec effet immédiat», affirmait Paul Duan à nos confrères du site techmeup.co.
Le chômage fait également partie des chevaux de bataille de Paul Duan :
Des applications comme Meetic ou Tinder se servent de nos données pour trouver ‘le match parfait’. Mais il n’y a pas qu’en amour que l’on peut trouver le partenaire idéal : au travail aussi ! On peut utiliser les algorithmes pour recommander aux chercheurs d’emploi des opportunités professionnelles adaptées à leur profil, et ce de façon beaucoup plus rapide, efficace et globalement plus optimale que ce qui est fait actuellement», expliquait-t-il à l’Échappée Volée.
Bayes Impact a vocation à changer le monde, et pour ce faire, Paul Duan est motivé, mais surtout lucide. Conscient que sa mission nécessite un travail en profondeur, et une réelle connaissance des enjeux de chaque institution au sujet de laquelle il conseillera les gouvernements, il n’est pas non plus sans savoir que les obstacles seront nombreux. Dès que l’on touche aux données très privées et potentiellement sensibles des êtres humains, et quand en plus on essaie de réaliser des économies, les «anti» ne se laissent pas forcément séduire par le côté altruiste du projet.
Des questions vont se poser inévitablement à mesure que nous entrons dans un monde de plus en plus numérique et quantifié. Mais justement : ne vaut-il pas mieux qu’une structure à but non lucratif telle que Bayes Impact s’y penche, plutôt que de laisser les algorithmes dans les seules mains du business ?», déclarait-il au site wedemain.fr.
Quoiqu’il en soit, on ne peut que saluer la démarche de ce jeune homme qui a grandi dans une banlieue populaire de la région parisienne, et qui a su mettre son travail et son audace au profit des intérêts d’autrui. Une façon de prouver que les mégadonnées ne sont pas seulement synonymes de dérives financières, d’espionnage ou de publicité. Chapeau !
Photo: Twitter Paul Duan @pyduan