Droit à l’oubli en Europe: le dangereux arbitraire accordé à Google
Par Christian Bolduc
Vendredi 4 juillet 2014 – En moins de 24hrs, le géant Google a désindexé certains textes sur les sites britanniques de la BBC, du Guardian et du Daily Mail pour partiellement revenir sur sa décision quelques heures plus tard. Cet imbroglio fait suite à l’arrêt du 13 mai 2014 de la Cour de justice européenne sur le «droit à l’oubli» qui stipule, dans ses grandes lignes, qu’un exploitant de moteur de recherche opérant sur le sol européen – notamment Google – est tenu de supprimer, suite à une demande d’un individu ou d’une organisation formulée, des liens vers des pages Web dont les informations sont jugées personnelles et arbitrairement préjudiciables.
Un arrêt, donc, qui transfert vers les exploitants de moteurs de recherche la responsabilité de discriminer le contenu qui peut – ou non – apparaître dans ses bases de données européennes. Un arbitraire qui a permis à The Guardian de voir réapparaitre des liens vers une histoire controversée datant de 2010 et qui impliquait un arbitre écossais de football (soccer).
Ce même arbitraire transféré par la loi aux opérateurs de moteurs de recherche n’a pas permis de faire renverser une décision de Google quant au contenu d’un blogue sur le site de la BBC (British Broadcasting Corporation). Impliquant, dans ce cas-ci, la démission forcée d’un ancien patron de la banque d’affaires étasunienne Merrill Lynch, Stan O’Neal, ce lien du journaliste Robert Peston fait partie d’une liste de textes publiés qui ne peuvent plus apparaitre dans les résultats de recherches.
Avec entre 50 000 et 70 000 requêtes de citoyens reçues depuis le 30 mai dernier, Google est accusé de censure par certains groupes dont Mail Online (Daily Mail). Sans que l’on puisse savoir publiquement qui est derrière ces demandes de suppression de données, il devient de plus en plus évident que l’arbitraire conféré à Google par la loi européenne – qui possède pratiquement le monopole en Europe avec 91,6% de toutes les requêtes effectuées sur les moteurs de recherches – ne peut être viable à long terme sans affaiblir la confiance que portent les Européens à cette loi qui boite déjà lourdement.
Parce que si la protection de la vie privée sur le Web est une variable incontournable dans ce débat qui secoue actuellement l’Europe, le droit des citoyens à l’information ne doit pas être écarté de l’équation par une organisation privée dont les intérêts sont généralement incompatibles avec le bien commun, la démocratie ou la liberté d’expression (de dissidence, contestation, etc.).
Parce qu’il est inconcevable de pouvoir discriminer des contenus sans avoir un mandat de représentativité politique explicite, transparente et dont l’imputabilité et vérifiable, cette loi du «Droit à l’oubli» devra subir de profondes modifications dans ses applications si elle veut atteindre son objectif. Ce que prévoient faire la France et l’Allemagne en 2015 alors que l’effacement complet des données pourra être exigé par les citoyens de ces deux pays.
Cette loi devra cependant comporter des exceptions notables et codifiées si elle veut être juste et équitable, parmi lesquelles l’exclusion de contenus qui comportent des éléments d’intérêt public. Un exemple? Un crime pour lequel un individu ou une organisation (privée ou publique) a reçu une sanction légale ne saurait bénéficier d’un droit de retrait. Autrement dit, l’intérêt public et la véracité des informations contenues dans les textes (et vidéos) devront impérativement être tout en haut dans la liste des critères à prendre en compte.