Dossier formation: l’avenir du journalisme est-il numérique?
Par Christian Bolduc
En annonçant, la semaine dernière, la réactivation pour septembre 2015 de son baccalauréat de quatre ans en journalisme numérique, l’Université d’Ottawa remet sur la table une réalité de plus en plus pertinente pour l’avenir de cette profession: la place du numérique dans la formation académique et la pratique quotidienne du journaliste.
En intégrant des connaissances et compétences en constante évolution, les métiers et professions du numérique font aujourd’hui face à une vaste et pourtant essentielle question: qu’est-ce qui est et sera pertinent à intégrer dans l’accomplissement des tâches professionnelles imparties?Â
C’est le cas du journalisme dont la mutation graduelle vers des plateformes Web exige une réflexion en amont quant à l’intégration – partielle ou totale? – de ces compétences particulières dans le cursus académique post-secondaire. Réflexions croisées avec deux défroqués du journalisme aujourd’hui convertis à l’enseignement universitaire: Jean-Hugues Roy et Marc-François Bernier.
D’abord les présentations. Jean-Hugues Roy est professeur de journalisme à l’École des médias de l’UQÀM depuis 2011. Ancien journaliste à Radio-Canada et à l’hebdomadaire montréalais Voir, il a développé une expertise rare au Québec en journalisme techno. Bachelier en géographie et détenteur d’un D.E.S.S. (diplôme d’études supérieures spécialisées) en journalisme de l’Université Concordia, le professeur Roy a aussi été chargé de cours à l’UQÀM entre 2008 et 2011.Â
Marc-François Bernier est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 2000. Détenteur d’un doctorat en journalisme, il se consacre à l’enseignement ainsi qu’à l’Agence Universitaire de la Francophonie dont il est un des membres du conseil scientifique. Il est également coordonnateur du baccalauréat en journalisme numérique pour son volet universitaire et francophone. Dans une vie antérieure, il a été journaliste au Journal de Québec.
État des lieux…
…À l’UQÀM…
Lors de notre première rencontre, Jean-Hugues Roy me présente une offre d’emploi en journalisme numérique au Globe and Mail, un quotidien important de Toronto. J’écoute, interloqué, les exigences minimales associées au poste: maîtrise suffisante de Javascript, CSS, jQuery, Bootstrap, Raphael, D3, HTML, Excel et Python. On ajoute que le candidat idéal aura un intérêt marqué pour le journalisme de données.
Je lui pose alors cette question réactive: «pensez-vous que les finissants en journalisme de l’UQÀM devront impérativement maîtriser tous ces outils informatiques afin d’être compétents sur le marché du travail? « Non, rétorque Jean-Hugues Roy. Mis à part quelques étudiants rompus au fonctionnement d’un blogue et quelques autres intéressés par ces outils, les autres n’ont pas vraiment de notions en numérique. »Â
Engagé à l’École des médias de l’UQÀM justement pour injecter quelques notions numériques au baccalauréat en journalisme dont une refonte vient d’ailleurs d’être complétée, le professeur Roy jauge, depuis qu’il a entamé sa maîtrise, le niveau qu’il serait loisible d’atteindre afin que les bacheliers puissent être à l’aise dans un environnement journalistique numérique.
Les résultats de ses recherches seront notamment intégrés à deux nouveaux cours de troisième année, un obligatoire – Atelier de journalisme sur Internet – et un à option – Technologies de l’information appliquées au journalisme.Â
…et à l’Université d’Ottawa!
À l’Université d’Ottawa, où le programme de baccaulauréat en journalisme numérique vient d’être réanimé après deux ans de remise en question, le coordonnateur du programme Marc-François Bernier nous expliquait au téléphone la nécessité d’intégrer certains éléments informatiques au programme afin de s’adapter aux contingences professionnelles actuelles et futures.
« Dans le programme de quatre ans que nous proposons en collaboration avec La Cité Collégiale et Algonquin College, l’étudiant sera initié au journalisme de données ainsi qu’au journalisme multiplateforme. L’écriture hypertextuelle sera aussi traitée dans un cours de français. »
Conscient que le journalisme prend graduellement et indubitablement le virage Web, le professeur Bernier insiste sur la nécessité d’ajouter des outils numériques aux compétences des étudiants. Deux cours en journalisme numérique ont d’ailleurs été ajoutés au cursus, et un stage pratique en milieu étudiant et/ou communautaire devient obligatoire.
Une menace pour le journalisme, le numérique?
Une fois ce constat fait de la nécessité d’intégrer le numérique dans les outils de travail du journaliste, que reste-t-il de la formation fondamentale: la culture générale? Inquiet de voir la «technique» remplacer la base qui fait du journaliste un professionnel de l’information avisé et formé contre les traquenards des pouvoirs politique et économique, nous avons questionné les deux professeurs sur cette problématique spécifique:
«Ici, à l’Université d’Ottawa, les 120 crédits du baccalauréat en journalisme numérique comprennent 45 crédits techniques à la Cité Collégiale (cheminement en français) ou à l’Agonquin College (cheminement en anglais) – notamment les techniques d’entrevues, le montage, l’introduction au journalisme, etc. – et 75 crédits universitaires dont 30 crédits réservés à la culture générale – histoire, géographie, économie, science politique, communication, multimédia, etc. – et 45 crédits spécifiques au journalisme: histoire du journalisme, sociologie du journalisme, cours de méthodes quantitatives, déontologie, etc.
Si le professeur Bernier semble à l’aise avec les crédits impartis à la culture générale dans le programme qu’il coordonne dans son volet universitaire et francophone, son homologue de l’UQÀM est spontanément plus sévère: «idéalement, répond Jean-Hugues Roy à notre observation quant à la nécessité de maitriser des contenus avant d’entreprendre des études en journalisme, un baccalauréat universitaire (90 crédits) spécialisé devrait mener au D.E.S.S. en journalisme. Mais en même temps, le CÉGEP sert justement à ça, transmettre une culture générale à l’étudiant…» Pas de réponse facile, donc! Néanmoins…
«Dans un cas comme dans l’autre, ajoute Marc-François Bernier, les outils viennent en aide au journaliste dans son travail de cueillette, traitement et production de l’information. Autrefois, les journalistes étaient aidés par des pressiers, graphistes et autres spécialistes de l’édition.Â
Aujourd’hui, ces professionnels sont remplacés par des infographistes, intégrateurs Web, programmeurs et autres spécialistes techno (photographie, caméra, etc.) qui ont graduellement migré vers le numérique en même temps que les médias eux-mêmes. Ils ne menacent en rien les tâches dédiées au journaliste.»
Ce que démontre le professeur Roy en affichant le Registre des armes à feu sur son portable. « Cette énorme base de données (près de 1GO) renferme une quantité impressionnante de données qu’un journaliste doit être capable de traiter. Maîtriser des outils numériques ciblés, comme par exemple les tableurs et certains éléments de programmation, permet au journaliste d’utiliser ces enseignements dans le cadre de son travail ou comprendre au besoin les informaticiens, programmeurs et intégrateurs Web qui supportent la production d’un média. »
Le numérique, finalement, doit être considéré comme une arme de plus dans l’arsenal du journaliste afin de trouver des sources en ligne, glaner des témoignages, trier des données et valider la crédibilité d’une déclaration politique, économique ou autre. Et nourrir la démocratie ainsi que la vérité intérêt public!
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