La créativité, un concept vraiment «surestimé»!
C’est l’idée que lançait la chroniqueuse du Financial Times, Lucy Kellaway, l’automne passé. Voyons ses arguments.
21 avril 2017
Admettons d’emblée que le concept de créativité est aujourd’hui appliqué à toutes les sauces. C’est une compétence incontournable, c’est la clé de l’innovation, en plus d’être la voie de salut pour survivre à un marché de l’emploi précaire et un avenir robotisé. À elle seule, la créativité règlera tous nos problèmes, environnementaux y compris.
Est-ce qu’on abuse du concept?
En 2016, Lucy Kellaway a recensé près de 2 millions de professionnels mentionnant le mot «créatif» ou «créativité» dans leur titre d’emploi affiché sur LinkedIn.
Comment les blâmer, quand toutes les entreprises recherchent la même chose. La chroniqueuse répertoriait au même moment plus de 32 000 offres d’emploi mentionnant la «créativité» comme compétence requise, alors que 2 700 demandaient la «politesse» et 300 «l’esprit de coopération». À Londres uniquement, sur le site d’emploi Indeed.
Depuis deux décennies, proteste la chroniqueuse, les gens d’affaires nous ont bassinés sur ce que c’était qu’être créatif. Plus de créativité est toujours mieux que moins – et surtout, il ne peut jamais trop y en avoir.»
Des excès évidents
Soulignons d’abord que toute cette attention dirigée vers la créativité n’est pas sans fondements. On associe à la notion, étude après étude, des effets positifs sur le rendement au travail, le leadership, la satisfaction professionnelle et le bien-être général des employés.
Mais certaines mises en œuvre de la créativité au travail semblent contreproductives ou farfelues. Dans un article de 2016, la Havard Business Review (HBR) citait des exemples de titres d’emploi «imaginatifs» censés motiver les employés. Des commis promus «artistes de la sandwich» (chez Subway). Des réceptionnistes désignées «directrices de la première impression», des relationnistes appelées «évangélistes de marque». Vraiment? Malgré le ridicule, la recherche évoquée par la HBR y voyait un impact positif sur le moral des employés.
Les activités créatives ont également la cote en entreprise. Mais que dire de l’idée de réunir son personnel pour jouer aux blocs Lego, comme le rapporte Lucy Kellaway dans son article. L’entreprise Kantar Media aurait effectivement convié tous ses employés à une séance intensive de construction de blocs, afin que chacun produise sa version d’un «monde extraordinaire».
Dans un courriel à la chroniqueuse, un employé a qualifié l’événement de «chose la plus absurde qui est jamais arrivée sur [son] lieu de travail».
Savoir doser
Lucy Kellaway n’est pas la seule à voir les limites de la créativité au travail. Dans un article publié dans Fast Company, le professeur Tomas Chamorro-Premuzic explique que la créativité n’est pas la solution de tous les problèmes professionnels:
Aucune qualité humaine n’est universellement bénéfique, lance-t-il en ouverture. Et même si la créativité a plusieurs attraits, elle a aussi des contreparties.»
Des exemples? Ça rend le comportement d’un employé imprévisible. Ça pousse une entreprise à prendre des risques inutiles. Puis d’ailleurs, la solution à bien des problèmes existe déjà. L’enjeu est donc d’identifier et de maîtriser ces solutions, plutôt que de réinventer la roue chaque lundi matin.
Pour conclure, Tomas Chamorro-Premuzic donne quelques conseils pour doser sa créativité au travail: «choisir un projet ennuyant de temps à autre», «faire équipe avec des gens consciencieux, mais moins créatifs», «accueillir l’ordre et la prédictibilité», «dire non plus souvent» et «se trouver d’autres débouchés créatifs».