La déconnexion pendant les vacances est-elle la responsabilité des collègues?

12 août 2024

Des études montrent que les travailleurs ont beaucoup de difficulté à ne pas regarder leurs courriels «de job» durant les vacances. Dans une publication récente, Luc Lapointe, consultant RH et vulgarisateur d’études en gestion du télétravail, a suggéré de faire porter une partie de la responsabilité de la déconnexion sur les collègues. Voyons sa proposition, ainsi que les réactions qu’elle a engendrées.

À la mi-juillet, en pleine période estivale, Luc Lapointe a envoyé – via LinkedIn – une petite pique aux travailleurs qui écrivent à leurs collègues en vacances en préfaçant leurs messages d’une mention « non urgente ».

Il les a plutôt invités à utiliser la fonction d’envoi «différé» pour que les collègues reçoivent et voient leurs messages uniquement la journée de leur retour.

Comme ça, tout le monde est heureux et tranquillos! », conclut-il.

La proposition est désarmante de simplicité… et pourtant, certains ont trouvé à redire. Car, se faisant, ne fait-on pas un peu trop porter la responsabilité de la déconnexion sur les épaules des collègues? C’est l’objection de Maxime Jobin, cofondateur de l’entreprise SatelliteWP :

Ce n’est pas aux autres à combler ton incapacité à ne pas travailler pendant tes vacances, a répondu l’entrepreneur, sans mâcher ses mots. Si tu pars en vacances, mets une réponse automatique et vis tes vacances sans regarder tes courriels. Si tu n’y arrives pas, tu as quelque chose sur lequel tu dois travailler. »

Le cofondateur de SatelliteWP explique que, dans son entreprise, les employés ont l’obligation de déconnecter pendant leurs vacances.

J’ai même déjà désactivé la connexion de mon associé pour qu’il décroche, raconte-t-il. [Lorsqu’on est rendu à] demander à toute l’équipe de gérer leurs envois pour toutes les vacances des autres membres de l’équipe, peut-être que ça vaudrait la peine d’organiser une petite formation sur l’importance des vacances et le fait de décrocher plutôt que d’encourager TOUS les membres d’une équipe à se rappeler de « qui est en vacances » parce que certains ne sont pas capables de se gérer! », a-t-il ajouté.

Dans les commentaires, Luc Lapointe a précisé que sa « prescription » s’adressait principalement aux collègues qui « savent pertinemment que l’autre personne est en vacances ».

C’est démontré par plusieurs études : les gens regardent leurs messages même s’ils savent qu’ils ne devraient pas le faire, tout simplement parce qu’ils ont pris l’habitude de regarder leurs messages constamment ou parce qu’ils sentent de la pression pour répondre à leurs messages. Il y a plusieurs raisons à cela (individuelles, de groupe et culturelles). Voilà pourquoi je crois qu’il est bien de s’entraider en évitant d’écrire aux personnes en vacances lorsque c’est facilement faisable. »

Oui à une responsabilité partagée

Pour élargir la réflexion, nous avons demandé l’avis de Laurie Michel, spécialisée en bien-être numérique, formatrice pour Isarta et présidente de Vivala. La consultante RH voit la déconnexion comme une responsabilité partagée entre l’employeur, l’individu et, oui, les collègues. Toutefois, culpabiliser les collègues pour avoir envoyé un courriel pendant la période de vacances lui apparaît comme une stratégie «contre-productive », précise-t-elle.

Pour elle, la proposition de Luc Lapointe ne reconnaît pas la différence fondamentale entre un courriel et un texto, ou un appel téléphonique. Contrairement aux textos et aux appels, qui se répondent habituellement « en temps réel », le courriel se répond généralement en différé. Ensuite, d’un point de vue pratique, la consultante note qu’il sera plus difficile pour la personne qui revient de vacances de prioriser ses réponses, si tous les courriels arrivent le même jour.

Si on veut parler de la responsabilité des collègues, je crois que c’est beaucoup plus pertinent de regarder du côté des rappels [au droit à la déconnexion]. Si une personne répond à un message le soir, le week-end ou pendant ses vacances, ses collègues peuvent lui rappeler l’importance de déconnecter.»

La possibilité de mieux faire

Pour permettre aux gens de partir en toute quiétude, Laurie Michel voit trois leviers d’actions:

la culture – les dirigeants doivent porter cette valeur,
la pratique – « si la personne n’est pas capable de déconnecter pendant l’année, je ne pense pas qu’elles pourront déconnecter pendant les vacances»
et, finalement, l’organisation – « il faut créer un message d’absence et identifier les personnes à joindre ».

Dans une seconde publication, Luc Lapointe a mis sa démarche en contexte :

Le monde du travail est en révolution et les normes ne sont pas encore établies. C’est donc normal de voir des dissensions. (…) Certaines personnes se sentent à l’aise de lire leurs courriels à leur convenance et d’autres se sentent obligées d’y répondre le plus rapidement possible. (…) Bref, puisque le monde du travail est en changement, il est important d’établir des normes de communication pour que tout le monde se sente respecté et pour qu’il puisse profiter de leurs moments de repos. »

Convenons avec lui qu’on peut faire mieux : en tant que travailleurs, nous n’avons pas encore trouvé l’équilibre entre le numérique et de la vie privée. Alors, continuons la réflexion!

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