La Silicon Valley aurait-elle perdu son âme?
Par Christian Bolduc
La Silicon Valley, c’est un fait avéré, est la Mecque de la nouvelle économie numérique, l’innovation technologique, l’argent et l’espoir d’une réussite professionnelle pour le Geek, l’entrepreneur, l’investisseur, le mentor ou le professionnel ambitieux. Située sur une bande géographique qui s’étend du sud de San Francisco à la ville de San José, en Californie, cette région ferait saliver tout entrepreneur désirant reproduire le succès des géants qui symbolisent l’avant-garde de cette économie.
Il semble que le gourou techno Chris Shipley, du haut de ses 20 années d’expérience passées «in the valley» et de sa prétention à anticiper les tendances à venir dans cette industrie où le mot impossible est proscrit, nous a offert une lecture plus nuancée, éclairée et personnelle «d’un écosystème qui, disait-elle d’emblée, carbure aujourd’hui davantage à l’avidité qu’à l’innovation. Tel un dogme religieux.» Rencontre au Festival international du startup de Montréal.
L’événement, présenté sur le site enchanteur du Vieux-Montréal au début du mois de juillet dernier, avait pourtant pour objectif avoué de réveiller et stimuler l’entrepreneur en démarrage en lui fournissant, sur un plateau d’argent, des outils et la nécessaire motivation – incitatifs financiers, mentors, conseils – pour augmenter ses chances de réussite.Â
Et voilà qu’arrive une femme de 52 ans pour nous dire, avec son aura de journaliste, auteure, entrepreneure et mentor étasunienne de réputation, que Silicon Valley n’est plus l’écosystème autrefois reconnu pour sa capacité à se renouveler par l’innovation et l’audace.
De la Pennsylvanie à la Silicon Valley
Née en banlieue de Pittsburgh, en Pennsylvanie, Chris Shipley est fille de pasteur. Toute sa jeunesse est programmée entre l’église et les camps religieux. Gavée de cette vérité chrétienne et imprégnée de ces valeurs, la jeune fille devenue adolescente décroche de ce dogme devenu un peu trop castrant et étouffant. Elle est déjà ailleurs…
Dans un pays qui voue un culte à l’entrepreneurship, Chris Shipley touche rapidement son Saint Graal: la nouvelle économie numérique, ou techno-économie. Sa passion pour ce secteur en émergence l’amène rapidement à déménager là où se construit l’avenir: la Silicon Valley.
Elle voit alors apparaître et se développer tous les Facebook, Google, HP et Apple qui contribueront à  progressivement mais sûrement façonner la culture économique et sociale du monde post-moderne. Depuis 20 ans, donc, elle vibre au rythme de cette richesse en pleine croissance, des rêves réalisées et brisées, de l’ambition et beaucoup d’un espoir de créer une entreprise qui fera LA différence.Â
Aujourd’hui, elle a vendu son entreprise qui venait en aide aux entrepreneurs en démarrage parce totalement désillusionnée. Pourquoi? Celle qui se considère dorénavant comme une entrepreneure sociale constate, à l’usage, que la gangrène de la cupidité s’est infiltrée au coeur de la Silicon Valley.
« Je ne juge pas les entrepreneurs dont la principale ambition est, en s’installant dans la région, de vendre leur « business » à Google afin de s’offrir illico une retraite dorée. Mais force est de constater, surtout si on considère les 94% d’entreprises qui meurent faute de valeurs bien alignées – c’est-à -dire de développer un produit et/ou service qui ne comble pas de besoin – que cette approche n’a maintenant plus de sens pour moi. »
Plus de sens pour elle, on en convient, mais pourquoi? « Parce que la Silicon Valley ressemble étrangement à  une religion qui, au même titre que le christianisme, est codifiée dans des livres, diffusée par des évangélisateurs, figée dans un système de valeurs et répandue dans des lieux de culte. » Le mot est finalement lâché: valeurs. La Silicon Valley aurait perdu les siennes par avidité, cupidité et égoïsme.
« Avec 3 milliards de milliards de dollars investis dans les entreprises de la Silicon Valley à tous les ans, il est humain pour les investisseurs, entrepreneurs, créatifs, avocats, ingénieurs, informaticiens et autres mentors de rêver à l’indépendance financière et au pouvoir s’y rattachant, » précise Mme Shipley en préférant des projets dont la finalité, utilitariste, vise davantage à aider et soulager le monde de ses souffrances qu’à accumuler un patrimoine financier individuel.
Alors, elle a perdu son âme la Silicon Valley? Devenue une planche à billets pour multinationales, elle n’est plus le royaume de l’innovation pour l’entreprise en démarrage qu’elle a déjà été. C’est tout.