L’aversion à la dépossession et son impact sur le marketing
Par François Nadeau
Accordez-vous davantage de valeur aux choses que vous possédez qu’à celles que vous pourriez acheter ?
11 janvier 2017
Imaginez qu’après avoir fait des pieds et des mains, vous avez finalement obtenu une paire de billets pour les Canadiens à prix régulier. Vous aviez un budget maximum de 250 $ pour la paire. Ces billets sont pour le dernier match de la saison. Quelques jours avant la fin de cette dernière, il s’avère finalement que c’est cette partie qui déterminera si les Canadiens participeront ou non aux séries éliminatoires. Le prix des billets grimpe sur le marché de la revente. Les vôtres pourraient maintenant se marchander 500 $, le double de ce que vous étiez prêt à payer au départ.
Malgré l’enjeu décisif de la dernière partie, jamais vous n’auriez déboursé une telle somme pour vous les procurer. Même s’il serait maintenant très facile de les vendre, vous n’hésitez pas à les garder et à assister à la partie. Pourtant, qu’ils soient entre vos mains ou non, ces billets ont la même valeur.
Cette dernière situation illustre bien ce que les experts en économie comportementale appellent l’aversion à la dépossession, ou endownment effect en anglais. Selon leurs recherches, les consommateurs auraient tendance à accorder beaucoup plus d’importance à ce qu’ils possèdent qu’à ce qu’ils peuvent acquérir.
Plusieurs chercheurs se sont intéressés à la question. Un des premiers est l’économiste Richard Thaler. Dans une expérience souvent citée, lui et ses collègues ont distribué des tasses à un premier groupe de participants. Au final, ceux-ci étaient disposés à se départir de leur bien pour plus du double du prix (7 $). Les membres d’un deuxième groupe, eux, n’étaient prêts à débourser que  3 $ pour cette même tasse.
Dan Ariely, auteur de plusieurs livres traitant du côté irrationnel des individus, a aussi étudié la question. Selon lui, différentes causes expliquent la tendance des gens à accorder plus de valeur à ce qu’ils possèdent. D’abord, nous vivons dans une société qui valorise beaucoup les possessions. Aussi, lors d’une transaction, les gens ont souvent tendance à mettre l’emphase davantage sur ce qu’ils ont à perdre que sur ce qu’ils ont à gagner (concept d’aversion à la perte).
Des implications marketing
L’aversion à la dépossession a bien sûr des impacts sur le marketing. Pensons par exemple au concept d’essai gratuit. Après trois mois à écouter de la musique sans limite sur Apple Music, ou à bénéficier du service de livraison rapide d’Amazon Prime, il y a bien des chances que vous ne vouliez plus vous en départir. Vous subiriez ainsi une perte que vous n’auriez pas vécue si on vous avait demandé de débourser pour le service dès le premier jour.
Même les participants à une mise aux enchères subissent l’aversion à la dépossession. Le fait de posséder la mise la plus haute, ne serait-ce que pour un instant, donne déjà la sensation de posséder l’objet mis aux enchères. Lorsque votre mise est déclassée, il y a des fortes chances que vous décidiez de miser plus haut afin de ne pas « perdre » l’objet que vous imaginiez déjà posséder.
Il est donc important pour les responsables marketing de garder en tête l’idée de l’aversion à la dépossession, qui peut s’étendre de façon beaucoup plus large qu’à la possession d’objets. Par exemple, si on veut favoriser un changement d’habitudes chez un individu, il faut garder en tête que celui-ci aura peut-être tendance à mettre l’emphase sur ce que ce changement risque de lui faire perdre, plutôt que sur ce qu’il peut gagner en modifiant ses habitudes.
Pour le consommateur, afin de prendre de meilleures décisions, il est aussi important de garder en tête ce concept. Parfois, la valeur qu’on accorde aux choses qu’on possède est beaucoup plus grande que celle que les autres y accordent.Â