L’oiseau rare du recrutement prédictif
Le big data et l’automatisation du recrutement sont les sujets de l’heure en RH. Pourtant, peu d’entreprises québécoises peuvent se vanter de réellement faire du recrutement prédictif. Nous en parlons avec Andrée Laforge, chef de produit et «enthousiaste» de l’analytique RH chez SYNTELL.
5 octobre 2017
La promesse est séduisante; le recrutement prédictif a la prétention de prédire avec succès si le candidat que l’on a sur papier est une bonne ou une mauvaise acquisition pour l’entreprise. Quand on sait ce qu’il en coûte de faire une mauvaise embauche, on comprend l’attrait qu’ont les entreprises pour ce genre de gadgets RH.
Or, ne s’adonne pas au recrutement prédictif qui veut:
Pour être capable de mettre en place des algorithmes qui établissent le profil d’un employé haut performant au sein d’une entreprise, dit Andrée Laforge, ça prend des masses de données… On ne parle pas de données sur 500 personnes, ça prend l’historique de travail de milliers et de milliers d’employés.»
L’autre grand défi est la fiabilité et l’accessibilité des données:
Il faut que les ressources humaines puissent avoir accès aux données. Dans le cas des logiciels de recrutement, la donnée n’est souvent pas très propre. Ce sont des données qui ont besoin d’être manipulées.»
Pour compléter le tableau, on gardera en tête que le recrutement prédictif est possible seulement lorsque le bassin de main-d’œuvre est suffisamment large pour effectuer une présélection de candidats.
Si tu cherches un ingénieur en propulsion avec une maîtrise en thermodynamique… illustre Andrée Laforge, ça ne fonctionnera pas. L’échantillon n’est pas assez grand.»
À l’heure actuelle, le recrutement prédictif qui se fait en entreprise repose essentiellement sur des postes peu qualifiés:
C’est efficace sur des postes de masse, qui ont très peu de caractéristiques techniques. Lorsque, par exemple, la seule exigence est un secondaire 5. Je me souviens d’une banque qui recevait 10 000 candidatures pour un poste en particulier… Là, on peut utiliser les outils prédictifs en présélection.»
Ça prend une organisation qui a une masse critique d’employés et un historique de données qui a été accumulé dans le temps. Ensuite, il faut que le bassin de main-d’œuvre dans lequel elle recrute soit suffisamment large», résume la chef de produit.
Le résultat, en fin de compte, c’est que peu d’entreprises s’y adonnent:
Au Québec, on parle de grosses organisations comme les banques ou la fonction publique.»
Le Big data pour PME
Ce portrait est juste quand on parle de solutions d’analytique RH déployées à l’interne. Or, il existe de plus en plus de solutions offertes par des firmes externes, pour répondre aux besoins des petites entreprises – imaginons une start-up en recherche de «talents». On parle ici d’une tout autre sorte de recrutement prédictif, cette fois liée aux tests psychométriques.
La plupart des firmes qui ont des psychologues organisationnels vendent aussi des tests psychométriques. L’idée est alors de faire passer ces tests, par exemple, à un programmeur que l’on veut engager, afin de déterminer si son profil (est-il introverti, peut-il travailler en équipe, fait-il preuve de leadership) correspond au profil idéal recherché par l’entreprise.»
Puisque ces firmes font passer des tests psychométriques à plusieurs organisations, elles ont accès à un volume de données qui permettent d’établir des modèles prédictifs en fonction de certains types d’emploi:
Elles peuvent savoir quelles sont les caractéristiques d’un haut performant pour un poste de chargé de projet informatique… illustre Andrée Laforge. Ainsi, ça aide les entreprises à prendre de meilleures décisions d’embauche.»
Une autre manière d’utiliser ces tests est d’établir si le candidat cadre bien avec la culture d’entreprise:
À ce moment, on se sert du recrutement prédictif à la fin du processus, quand il reste 2 ou 3 candidats qui répondent aux exigences techniques du poste. On cherche alors à établir s’il y a un fit culturel entre l’entreprise et le candidat que l’on veut embaucher.»
La chef de produit donne l’exemple de GSoft, la compagnie «chouchou» de TI en ce moment: elle offre des vacances illimitées, dispose d’une rampe de skate dans ses locaux et invite tous ses employés à fêter Noël dans le Sud:
Ils ont une culture d’entreprise qui va avec le bassin de professionnels qu’ils ont [des jeunes] et qu’ils recherchent. On transposerait la même culture d’entreprise dans une autre entreprise et ça n’intéresserait pas du tout les travailleurs.»
Des précautions à prendre
Au fil des ans, le recrutement automatisé a souvent été présenté dans les médias comme une solution neutre, pouvant contrer les biais inconscients et augmenter la diversité. Or, on se rend que ce n’est pas tout à fait exact.
Le risque d’induire des préjugés dans les algorithmes est bel et bien réel, confirme Andrée Laforge:
Lorsqu’on se rend compte que tous nos hauts performants sont des hommes de 25-30 ans, on a un problème de discrimination, si on applique de tels critères d’embauche… Oui, on veut rejoindre les bons bassins, mais on ne veut pas non plus exclure un candidat qui a toutes les caractéristiques d’un bon prospect, mais qui ne serait pas dans la bonne tranche d’âge.»
Pour contourner le problème, Andrée Laforge suggère de cibler les plateformes et les groupes d’intérêts que fréquentent les bassins recherchés, sans toutefois utiliser le genre et l’âge comme critères d’embauche; ce qui serait hautement préjudiciable de toute façon.
L’autre point sensible est l’utilisation même des données. Il y a un volet légal à prendre en compte:
Il s’agit de données confidentielles, rappelle André Laforge. C’est pourquoi on voit de plus en plus d’entreprises faire signer des décharges aux employés demandant la permission d’utiliser les données dans le but de nous améliorer.»
En conclusion, André Laforge souligne que l’on est encore aux «balbutiements» du recrutement prédictif:
Ce n’est pas demain que toutes les entreprises vont en faire. Les conditions ne sont pas réunies: les données ne sont pas là, ni en qualité ni en quantité.»