Le télétravail est-il en voie de disparition ?
Par Kévin Deniau
17 octobre 2024
Amazon, Ubisoft… Les entreprises qui décident de faire marche arrière en matière de télétravail mais qui se heurtent à l’opposition des salariés se multiplient. Une bataille amenée à se prolonger ?
Stop ou encore ? Cela fait déjà plusieurs mois que les débats progressent au sujet d’un rééquilibrage du télétravail. Après avoir connu un essor aussi fulgurant qu’inédit du fait de la pandémie, le travail à domicile s’est, de fait, imposé comme une nouvelle norme pour les organisations.
Le télétravail a fait irruption par effraction dans nos existences », indique Jean-Claude Delgènes, le fondateur du cabinet Technologia et auteur d’un ouvrage sur le sujet « Osez le télétravail ! Comment mettre en place un télétravail “responsable” (Fauves éditions).
Un peu trop ? C’est en tout cas l’avis de plus en plus nombreux de dirigeants. Dont certains décident de prendre des décisions radicales : le télétravail, c’est tout simplement terminé. Dernier exemple marquant en date ? Amazon qui a annoncé le retour intégral, cinq jours par semaine, au bureau à partir de janvier 2025 pour les 300 000 employés des services administratifs. Un comble pour un géant… du commerce électronique.
En observant ces cinq dernières années, nous continuons de penser que les avantages d’être tous ensemble au bureau sont importants », justifiait son PDG, Andy Jassy, dans un message interne.
Une mesure qui a fait l’unanimité… contre elle. Selon Fortune, un sondage interne révélait une note de satisfaction de 1,4 sur 5 de la part des employés (« 1 » signifiant « en fort désaccord »).
Un acquis social ?
En France, une grève de trois jours a été déclenchée au sein de l’éditeur de jeux vidéos Ubisoft, bien connu au Canada, et suivi par plus de 700 salariés sur les 4 000 que compte l’entreprise de ce côté-ci de l’Atlantique. Pourtant, la direction promettait de ne pas revenir à du 100% présentiel mais « juste » d’imposer trois jours par semaine au bureau par semaine.
Le télétravail n’est plus une option, c’est vraiment considéré comme un acquis« , assure Laetitia Niaudeau, la directrice générale adjointe de l’Association pour l’Emploi des cadres en France, en marge de cette affaire.
Une succession de conflits médiatiques qui s’explique selon elle par l’arrivée à échéance des accords de télétravail ou de travail hybride signées en général pour une durée de 3 ans, à la sortie de la pandémie. Ces épisodes devraient normalement se multiplier dans les mois à venir selon ce raisonnement.
Confort, santé mentale, productivité…
Un enjeu qui révèle de nombreuses questions sous-jacentes. D’une part, le ralentissement économique entraîne un moindre dynamisme du marché du travail. Conséquence : les salariés ont moins de marge de manoeuvre dans leur négociation avec leur employeur.
Dans une conférence organisée à Stanford, des chercheurs ont pointé le fait que ces décisions de retour au bureau sont souvent le fait d’entreprises qui connaissent de mauvais résultats. Ce qui est le cas de Ubisoft en l’occurrence. Autrement dit, cette mesure serait une façon de pousser vers la sortie des salariés. Une sorte de licenciement indirect.
Par ailleurs, cette tendance revient à s’interroger sur la nouvelle structure organisationnelle du travail. Selon Nick Bloom, professeur d’économie à Stanford cité par The Conversation, la productivité (quand bien même elle serait calculable) serait similaire entre travail 100% au bureau et travail hybride – qui serait même plus efficace de 1 à 3 %. Le travail à domicile intégral, lui, causerait une perte de productivité de 10 %. Mais le fait de travailler à domicile représenterait un confort supplémentaire non négligeable pour les employés ainsi qu’un gain de temps, pour ceux qui ont un long temps de transport.
Toutefois, selon les entreprises, la perte se situerait plutôt du côté de la créativité et de l’adhésion à la culture d’entreprise en raréfiant notamment les conversations informelles. Sans compter les enjeux de santé mentale que posent le télétravail (isolement, surinvestissement, inégalité de genre…), énumérés dans l’ouvrage de Jean-Claude Delgènes.
Dans son entrevue récente à Isarta, Louis Duchesne, le président, Québec et Est canadien de Cossette, expliquait le retour à 3 jours minimum par semaine par une différence entre la productivité individuelle et collective. Selon lui, personne n’a quitté l’entreprise à cause de cela. Et son score d’engagement a même augmenté. Preuve qu’il existe aussi des exemples où le retour au bureau se fait sans heurt.
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