28 novembre 2018
Dans une pétition publiée ce 27 novembre, Dominique Trudeau, le président de l’atelier de marque et de publicité Couleur locale, née en 2013 et basée à Sainte-Julie, s’interroge sur le recours systématique aux pitchs. Il nous explique pourquoi dans cette entrevue.
Vous venez de publier sur les réseaux sociaux une tribune intitulée « Nous disons non aux pitchs ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Dominique Trudeau : Déjà, je souhaiterais rappeler que je suis dans le secteur depuis une trentaine d’années, à travers différents métiers et dans différentes agences [NDLR : SidLee, Cossette, Bleublancrouge, Taxi notamment].
Depuis quelques années, j’ai commencé à écrire des articles d’opinion. Je souhaite en effet partager mes réflexions face à mon métier et sur la manière dont on fait les choses. Je ne prends jamais la parole sur des sujets d’actualité mais j’essaie plutôt d’avoir un recul plus global sur le modèle, en soi, de fonctionnement des agences.
On sent en effet que ce modèle d’agence connaît des difficultés et doit se réinventer, avec l’avènement du digital. Très clairement, il y a des façons de faire qui sont issues de notre passé mais qui sont encore très présentes dans notre quotidien et peuvent poser certaines problématiques.
Deux grands sujets me questionnent notamment : les concours, alors que nous sommes un métier de mise en marché, et le volet des pitchs. D’où l’objet de ma tribune.
Que reprochez-vous aux pitchs ?
D.T. : Je l’ai vécu tout au long de ma carrière : c’est un processus très lourd pour une agence, avec un poids économique non négligeable si tu en perds plusieurs d’affilée. Certes, certains peuvent être rémunérés mais cela ne couvre jamais vraiment toutes les dépenses. Car il faut aussi voir les coûts d’opportunité, c’est-à-dire l’investissement qui n’est pas passé sur les autres clients.
Par ailleurs, il y a un vrai impact sur les gens aussi. On peut se questionner sur les problèmes éthiques que cela suppose et la notion de respect des gens. Ce côté humaniste fait beaucoup de sens pour moi. Si on pouvait éliminer les pitchs, beaucoup d’agences pousseraient un grand soupir de soulagement. Je pense que l’on peut être capable de respecter les talents en étant capable de faire un choix, même sans pitch.
Quelle serait l’alternative ?
D.T. : Je pense que le choix est possible en l’état. En toute honnêteté, quand on est décideur, on est capable de choisir un fournisseur ou une agence d’une façon éclairée.
Tous les outils sont en place pour pouvoir le faire, tout est à notre portée pour prendre notre décision. La qualité est connue. On peut rencontrer les gens pour savoir si c’est agréable de travailler avec eux. Si c’est une question budgétaire, tout est négociable.
Bref, il n’y a aucune raison de faire travailler un tas de monde pour se rassurer. Et je parle bien des cas où l’on fait appel à une agence mais aussi à des fournisseurs, je ne jette la pierre à personne.
Vous ne voyez aucun avantage aux pitchs ?
D.T. : Il faut bien comprendre une chose : mon questionnement n’est pas issu d’une frustration mais d’une volonté de questionner toujours nos modèles, de trouver les façons d’arriver à être meilleur. L’arrivée du digital nous force à nous requestionner en permanence.
J’essaie juste de comprendre pourquoi un client ou une agence décide systématiquement d’entrer en pitch. Une personne m’a ainsi indiqué que les pitchs l’aidait à la faire connaître. C’est vrai mais est-ce pour autant une raison pour les garder ? Ce n’est pas sûr.
L’idée n’est pas de tout casser mais de remettre en question. Et de trouver des solutions en ouvrant la discussion. Il faut prendre cette tribune comme un électrochoc pour initier la conversation.
Quelles ont été les réactions justement à la suite de la publication de votre tribune ?
D.T. : La majorité embarque. Il semblerait que je ne sois pas le seul à penser de la sorte, beaucoup de gens répondent à l’appel. C’est pourquoi d’ailleurs j’ai demandé aux personnes qui pensent pareil de cosigner le papier.
Quel est votre objectif ?
D.T. : Je voulais savoir si cela raisonnait auprès de l’industrie et si les gens avaient la même perception que moi. Il faut bien voir que la solution ne m’appartient pas. Elle appartient à nous tous, annonceurs, agences et fournisseurs. L’idée, c’est de trouver une meilleure façon de faire une sélection. Les solutions, c’est à l’ensemble de la communauté de les trouver.
Il est très difficile de briser les modèles pour les agences. Les changements font toujours peur car il n’y a pas toujours les solutions existantes pour remplacer un vieux modèle. Mais cela commence toujours quelque part.
Pour moi, ce modèle de pitch est désuet et fait du mal à beaucoup d’entreprises. Il doit donc être repensé. Cela vaut en tout cas la peine d’y réfléchir Si on n’est pas capable de se regarder, on n’est pas une industrie vivante. On a besoin de se requestionner car la pression est partout en ce moment.
Notre secteur ne bouge pas vite et nécessite des coups de gueule. Ici, ce n’est pas un coup de gueule émotif, cela naît d’une vraie réflexion.
Certains ont en effet pu vous accuser d’écrire sous le coup de l’amertume.
D.T. : Oui, des gens pensaient que j’écrivais par amertume ou frustration. Mais ce n’est pas du tout le cas. Cela n’est pas né d’un pitch perdu. C’est anecdotique mais, j’ai gagné mes derniers pitchs.
Non, il faut vraiment le voir comme une « réflexion empathique. » Je voulais m’assurer qu’il y avait des gens qui pensent comme moi pour ouvrir la discussion.
Vous pouvez retrouver la pétition en question ci-dessous ou en ligne ici :
Combien d’heures avons-nous passées à faire des pitchs ? Combien de temps perdu ? Combien d’argent avons-nous englouti à tenter d’impressionner la galerie. Combien d’idées avons-nous données gratuitement ? Combien de nerfs avons-nous brisés ? Combien de temps perdu à ne pas s’occuper de nos clients. À ne pas se préoccuper de nos gens ? Combien de temps perdu à ne pas s’occuper des vraies affaires ?
Nous disons non aux pitchs.
À une époque où les agences se plaignent des marges qui diminuent.
À une époque où nous avons moins de temps pour mieux faire les vrais projets.
À une époque où nous avons de la difficulté à monnayer nos idées.
À une époque où la rentabilité des agences est de plus en plus difficile à atteindre.
Nous disons non aux pitchs.
Ici, nous ne parlons pas seulement de cesser de demander du travail spéculatif à plusieurs agences. Ce qui devrait, selon nous, être déjà compris par les clients des agences, et par les agences elles-mêmes avec leurs artisans/fournisseurs. Après tous, comment pourrions-nous demander ceci à eux si nous faisons cela aux autres ?
Nous parlons ici de toutes formes de pitchs où plusieurs boîtes sont mises en compétition. Nous parlons de présentations d’agences, de préparation de budgets détaillés, de calendriers de production, de compréhension du mandat et des autres demandes usuelles.
Nous disons non aux pitchs.
Identifier un budget. Faire un choixselon la réputation et la qualité du travail accompli à ce jour par une agence ou une maison de production. Rencontrer ses gens. Négocier un prix. Travailler en symbiose avec un partenaire plutôt qu’avec un fournisseur. Ça ne prend pas la tête à Papineau. C’est facile. Une évidence même. Pensez-y… Ce n’est pas déjà pas mal ça anyway, déjà décidé un petit peu, même quand c’est un pitch ? La plupart du temps ? Pour nous et pour vous ?
Nous disons non aux pitchs.
C’est dans votre charte de faire une demande de pitchs à plusieurs ? Si vous êtes un organisme public qui gère de l’argent public, vous êtes notre seule exception, ne touchez pas à ça. Nous répondrons à l’appel. Mais pour tous les autres, privé ou à la bourse, nous vous invitons à revoir cette clause à votre prochaine rencontre d’administrateurs. Si vous êtes une agence, vous n’avez aucune raison.
Assez c’est assez. Vous nous désirez ou pas. C’est pas compliqué pourtant.
Nous disons non aux pitchs.