Ce que la science nous apprend sur la santé psychologique au travail
Par Kévin Deniau
24 janvier 2020
Le 22 janvier dernier, Les Événements Les Affaires organisait une conférence sur la santé psychologique au travail. Durant laquelle la professeure de l’Université de Sherbrooke, France St-Hilaire, a livré une intervention passionnante sur les apports de la science en la matière.
Quand la science sort du laboratoire. C’était un peu le concept de la conférence de France St-Hilaire, le 22 janvier dernier, à l’occasion d’une conférence Les Affaires sur la santé psychologique au travail. Intitulée justement « Mettez la science en pratique grâce aux interprétations scientifiques », son objectif était de traduire les connaissances scientifiques en pistes d’action concrètes pour les organisations.
Les chercheurs sont souvent associés à des pelleteurs de nuage. Il est pourtant essentiel d’avoir des collaborations et des relations de confiance entre les entreprises et les chercheurs sur ce sujet. D’où la raison de ma présence ! » a commencé par expliquer la professeure, agrégée en gestion des ressources humaines à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke.
Il faut dire que France St-Hilaire est experte de son sujet : détentrice d’un doctorat sur mesure en organisation, habiletés de gestion et santé mentale au travail de l’Université Laval, elle est également directrice de l’équipe de recherche sur les organisations en santé (ÉOS) et directrice scientifique de Global-Watch, un réseau international en santé et qualité de vie au travail.
C’est sur les interprétations scientifiques de cette plateforme collaborative internationale qu’elle s’est d’ailleurs appuyée pour aborder la question de la charge de travail cognitive et émotionnelle.
La charge de travail et le manque de reconnaissance sont en effet le 1er facteur de risque qui ressort de ces études, affirme-t-elle. Avant de poursuivre : Moi, quand je dis que je travaille sur la santé psychologique au travail, on me parle de méditation, de pleine conscience, de vitamines… On voit que les gens cherchent des solutions. Mais sont-elles vraiment toutes bonnes ? Mon rôle, c’est de départager le vrai du faux et de comprendre les mécanismes et conditions de succès. »
Voici donc ce que dit la science sur ces 3 sujets suivants.
1. Les tâches inutiles et déraisonnables qui contaminent le travail
Le premier se base sur une étude parue en 2018, consacrée aux tâches inutiles et/ou déraisonnables. Inutiles, autrement dit inefficaces, qui ne servent à rien ou devant être effectuées sans raison particulière, selon l’exigence des gestionnaires ou de l’organisation. Cette notion vous parle ?
À qui n’est-il pas arrivé de devoir remplir des formulaires ou des rapports… qui ne sont au final lus par personne ? France St-Hilaire prend aussi l’exemple d’une assistante médicale qui doit classer tous les matins les magazines du cabinet… par ordre alphabétique !
Et déraisonnables, dans le sens où la tâche requiert un niveau d’expérience et d’expertise largement supérieur ou inférieur à celui du salarié. Cela peut-être une tâche pour laquelle le salarié n’a pas été embauché ou formé, effectuée en remplacement d’un autre ou encadrée par des règles trop ou inutilement restrictives.
Là encore, qui n’a pas été confronté à cette frustration, au moins intérieure :
« Je n’ai pas été embauché pour faire ça ! Pourquoi c’est à moi de faire cette tâche ? Pourquoi me payer aussi cher pour faire cela ? »
Sachant que le combo est possible : une même tâche peut être déraisonnable et inutile !
France St-Hilaire ajoute alors le concept de biais d’attribution hostile, qui dépend de la personnalité de chacun. Cela veut dire concrètement que des événements vont être perçus encore plus négativement par une personne si elle a un biais d’attribution hostile. Vous savez, ce sont les personnes qui pensent que le malheur qui leur arrive est constamment la faute des autres.
Pour une même tâche reçue, certains vont se dire qu’il faut bien que quelqu’un le fasse et ne pas ruminer. D’autres vont le prendre personnellement et penser que c’est un acte de provocation volontaire, » explique-t-elle.
Avant de poursuivre le raisonnement :
Or, la tâche, c’est notre quotidien. C’est la raison pour laquelle on est là tous les matins. Elle a un rôle très importante sur la santé psychologique ! D’ailleurs, les études montrent que les tâches déraisonnables ont plus d’effets négatifs que celles inutiles. C’est pourquoi, en tant que gestionnaire, il est important de se questionner pour savoir si on demande à la bonne personne quand on confie une nouvelle tâche. »
Car, pour le salarié, cela peut se traduire par de la colère, de la frustration, du stress ou une baisse de bien-être. L’enjeu est en effet de préserver le lien de confiance entre le gestionnaire et le salarié. Nous sommes ici dans un problème de gestion.
Cela semble bénin mais, par cette création d’émotions négatives, cela peut avoir des répercussions à long terme dans la relation, » assure France St-Hilaire.
- Les solutions ?
Première piste : répertorier l’ensemble des tâches d’un salarié. Attention, cela veut dire celles prescrites par l’organisation… mais aussi celles que les salariés s’attribuent eux-mêmes (ainsi que les tâches préalables et nécessaires à une tâche assignée). C’est toute la différence entre le travail prescrit et le travail réel.
C’est là où l’on se rend compte que les organisations ne connaissent pas toujours les tâches de leurs salariés, » indique France St-Hilaire.
Deuxièmement, ne pas négliger la communication et l’explication. Il convient ici de dépersonnaliser l’attribution des tâches et bien informer les salariés des raisons pour lesquelles ils sont affectés à certaines tâches.
Selon la personnalité de l’employé, on peut présenter cette nouvelle tâche comme un opportunité ou une possibilité de développer de nouvelles compétences. Mais attention à ne pas le mettre involontairement en situation d’échec, » insiste-t-elle.
Enfin, l’empathie est clé. Ce qui signifie d’être attentif à la façon dont les salariés perçoivent l’attribution des tâches et établir un climat de dialogue et d’ouverture.
2. Comment les interruptions de travail affectent le bien-être des employés
Cette fois, c’est une étude hollandaise de la chercheuse Anita Keller (Université de Groninge) qui sert de base à l’intervention sur les fameuses interruptions de travail. Vous savez les notifications de votre téléphone, les appels reçus, les collègues qui vous demandent un renseignement…
Elles peuvent avoir des effets dévastateurs. On estime qu’une interruption impromptue de 5 minutes entraine une perte de productivité de 20 minutes, » déclare France St-Hilaire.
Comptez le nombre de fois où vous êtes interrompu au travail dans une journée et faites le calcul… En effet, faire plusieurs choses en même temps a un coût physique mais aussi psychologique pour le cerveau. Et, à plus long terme, cela se traduit par une diminution globale du bien-être.
France St-Hilaire se remémore d’une journée où elle était en télétravail pour travailler sur un rapport. Tout allait bien : téléphone en silencieux, boîte courriels fermée… Mais une personne sonne à la porte, puis elle reçoit un texto, ce qui lui fait ouvrir sa boîte courriel, et elle commence à répondre à ses messages… Et le cercle vicieux se met en marche. Cela vous parle à vous aussi ?
Dans ce cas, nous mettons en place des stratégies d’adaptation : on finit plus tard, on rapporte du travail à la maison, on ajoute une journée de télétravail… mais à long terme, cela ne fonctionne plus. ce sont les effets pervers de cette stratégie de flexibilité, » admet-elle.
Fait intéressant à noter ici : plus vous êtes expérimenté… plus vous êtes dérangé car vous êtes reconnu comme un expert à l’interne. Ce qui n’est d’ailleurs pas compris dans vos tâches de travail, pour revenir au point précédent !
- Les solutions ?
L’enseignante recommande d’établir des règles entre collègues concernant les courriels, le téléphone ou les rencontres pour lutter contre ce besoin constant d’instantanéité.
Elle préconise aussi le télétravail… pour les personnes qui arrivent à décrocher et travailler à distance. Surtout si l’organisation est en espace ouvert, et donc avec de plus nombreuses interruptions possibles.
3. La charge émotionnelle : servir avec le sourire, plus facile à dire qu’à faire
Ce 3e thème reprend une étude québécoise cette fois, de Marie-Claude Lépine et Michel Cossette de HEC Montréal et s’intéresse à la charge émotionnelle. Autrement dit, le fait de toujours devoir avoir le sourire au travail.
Le travail émotionnel s’exprime de trois façons différentes :
- La régulation de profondeur – quand on arrive à gérer et modifier son état émotionnel
- La régulation de surface – quand on arrive à masquer ou prétendre avoir une émotion
- L’expression naturelle des émotions
Il est important d’être authentique, sinon, cela crée des dommages, explique France St-Hilaire. C’est bon pour le service à clientèle de l’entreprise mais pas pour vous ! »
L’étude révèle plusieurs éléments.
Déjà, que les salariés exprimant naturellement leurs émotions positives au travail sont les moins susceptible de vivre de l’épuisement émotionnel et démontrent une meilleure performance de service.
Ensuite, que la régulation de surface (celle qui demande le plus d’effort) est la plus susceptible de causer l’épuisement émotionnel (même s’il semble qu’elle n’affecte pas de façon significative la performance de service).
Enfin, la régulation de profondeur est aussi une source d’épuisement émotionnel mais seulement dans le cas où une personne démontre une tendance naturelle à ressentir peu d’émotions négatives. Elle n’a en effet pas appris à les exprimer et c’est donc très exigeant pour le cerveau de devoir changer d’émotion.
Au final, l’expression naturelle des émotions est la forme de travail émotionnel la plus authentique… et la plus bénéfique (en termes de protection contre l’épuisement émotionnel et d’effets positifs sur la performance de service). En un mot, ne jouez plus de rôle et soyez vous-même au travail !
- Les solutions ?
La professeur recommande ici pour l’employeur :
- d’embaucher des salariés avec des compétences à exprimer naturellement des émotions positives
- de former et sensibiliser les salariés aux stratégies de régulation émotionnelle
- Et enfin d’offrir de la rétroaction et un encadrement sur l’expression naturelle des émotions.
Avant de conclure :
S’il y a une chose à retenir, c’est que la charge de travail n’est pas seulement la quantité de travail ou le nombre d’heures travaillées. Il faut aussi se demander quels sont les types de tâches ? Dans quelles conditions ces dernières sont-elles réalisées ? Et dans quelles conditions sociales, psychologiques et émotionnelles ? »
Vous n’allez plus voir vos tâches routinières de la même façon désormais !
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