« Accepter le fait d’être une personne handicapée a tout changé pour moi »
Par Kévin Deniau
5 septembre 2024
Les Jeux paralympiques, dont la XVIIe édition se tient du 28 août au 8 septembre à Paris, sont l’occasion de mettre sur le devant de la scène l’enjeu du handicap dans la société et le monde du travail. Dans ce cadre, nous vous proposons le témoignage poignant mais optimiste de Marion Allorge, qui vient de publier « J’ai enfin accepté d’être une handicapée: 40 clés et astuces pour surmonter les obstacles et devenir acteur de sa propre inclusion » (auto-édition).
Bonjour Marion. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Marion Allorge : Je suis née en 1976 en France, avec deux handicaps de naissance, l’un visible et l’autre non. J’ai une malformation congénitale aux mains et deux pieds bots, qu’on ne voit pas quand je suis assise. Pourtant, j’ai eu 17 opérations depuis que je suis née afin de pouvoir marcher et acquérir une meilleure motricité de mes mains.
Dans ma famille, et dans le société en général à cette époque, on ne parlait pas du tout de handicap. J’ai donc été éduquée comme tout le monde, même si mon enfance et mon adolescence ont été assez compliquées car j’étais limitée dans ce que je pouvais faire.
Après avoir terminé mes études en action commerciale, j’ai commencé à travailler en 1996. Je ne me suis pas sentie handicapée et ai rarement été confrontée à des situations difficiles, comme par exemple dans un poste de téléconseillère dans le secteur de l’assurance, où le travail était principalement assis.
À quel moment avez-vous fait reconnaître votre handicap ?
Marion Allorge : J’ai rencontré mon conjoint en 2004 et c’est lui qui a commencé à me dire que je devais être reconnue comme une personne handicapée. Ce qui a donné lieu à une grosse dispute car je ne me sentais pas handicapée… alors que j’étais limitée pourtant dans plein de domaines.
Nous nous sommes installés à Brest, en France, en 2005, et il était difficile de trouver du travail. Sachant qu’il y a beaucoup de métiers que je ne pouvais pas faire, comme le service dans un restaurant par exemple. En 2006, j’ai reçu la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH) et j’ai été approchée par une entreprise, Défi RH, qui aide au placement professionnel de personnes handicapées diplômées.
À l’issue, j’ai été recrutée dans une banque. Tout s’est très bien passé au départ, mais les choses ont mal tourné par la suite.
Pourquoi ?
Marion Allorge : Entre le moment où j’ai été recrutée et le début de mes problème, la banque a beaucoup évoluée. En 2009, les accueils dynamiques ont été introduits en agence, marquant une nouvelle approche dans la relation client. Je me suis retrouvée dans une petite agence et il fallait aider les personnes âgées à se servir de leur carte devant le distributeur automatique. Il fallait donc rester debout longtemps, ce qui n’est pas possible pour moi.
Je minimisais mon état mais j’ai commencé à sombrer. J’ai demandé à la référente handicap si un autre poste ne pouvait pas m’être proposé. Mais je n’ai pas eu de réponse, si ce n’est qu’il ne fallait pas que je me plaigne par rapport à d’autres. Dans ses messages, cette personne faisait d’ailleurs une faute d’orthographe à « handicap », un comble !
J’ai de nouveau dû me faire opérer car cette station debout m’a provoqué une excroissance au pied. Ce manque de compréhension m’a amené à sombrer vers le burnout en 2011. J’ai alors été licencié pour inaptitude, ce que j’ai dénoncé au prudhomme (mon employeur a été condamné quelques années plus tard). Ce fut un énorme échec pour moi car j’aimais réellement mon métier.
Que s’est-il passé ensuite ?
Marion Allorge : J’ai trouvé un autre travail dans un autre grand groupe financier et j’ai enchaîné les emplois temporaires pendant 9 ans. J’étais contente mais c’était la précarité absolue car je devais changer de service tous les 18 mois. En 2021, je connais un 2e gros burnout et, après un échange avec le chef de la mission handicap de mon entreprise, je comprends que ma situation n’allait pas changer dans cette entreprise.
J’ai touché le fond au point de vouloir en finir. Je souffrais trop. Heureusement que je suis croyante, cela m’a permis de ne pas aller au bout de mon acte.
Après des discussions avec mon conjoint, j’ai décidé de remonter la pente, en me faisant suivre dans un centre médico-psychique et en arrêtant l’alcool. J’ai repris des études en 2022 et ai obtenu un diplôme universitaire : « DU Comprendre et Accompagner le handicap » à l’université de Toulouse Capitole.
Est-ce à ce moment que vous entamez la rédaction de votre livre ?
Marion Allorge : Oui, j’ai senti comme une obligation d’écrire. Il s’agit clairement d’un livre militant, qui raconte ma vie sans faux-semblant et mon processus vers l’autonomisation en tant que personne handicapée. Mais cela reste un livre positif malgré tout, dans le sens où je parle de choses très dures, avec beaucoup de responsabilité.
Si j’avais eu ce livre dans les mains, il y a beaucoup de choses qui se seraient passer différemment je pense. Le fait de ne pas en parler, de ne pas moi-même l’accepter, de ne pas demander de compensation ou de savoir dire non… En effet, si on ne parle pas de son handicap, les gens autour ne peuvent pas le deviner. Si on ne le vit pas, on ne peut pas imaginer ce qu’est le handicap. Accepter le fait d’être une personne handicapée a tout changé pour moi.
Le livre se destine-t-il aussi aux professionnels des ressources humaines ?
Marion Allorge : Effectivement. On dit qu’il faut être dans l’empathie et à l’écoute, mais ce n’est pas suffisant. Il faut vraiment entrer dans le quotidien d’une personne handicapée.
Je trouve que l’effort est beaucoup plus mis sur la sensibilisation des personnes bien portantes, dans un souci d’inclusion, plutôt que sur les façons d’autonomiser les personnes handicapées. Surtout que dans beaucoup de cas, le handicap est invisible.
Dans votre cas, est-ce que vos mains et vos pieds représentent le même niveau de handicap ?
Marion Allorge : Non, ma malformation aux mains ne me pose pas particulièrement de problème. Sauf que les gens ne voient que cela. Mes employeurs ne retiennent que cela, car c’est visible. Cela me dessert car ce n’est pas le plus handicapant au quotidien.
Quelles sont les bonnes pratiques que vous recommandez pour les entreprises en matière de handicap ?
Marion Allorge : Il y en a plusieurs que j’évoque dans le livre et qui seront à la base de la formation que je donnerais à partir du 2 janvier prochain.
Il faut déjà encourager le témoignage et libérer la parole. Beaucoup de personnes ont peur de parler de leur handicap, par méfiance. Quand j’étais en recherche d’emploi, je me rappelle des conseils que l’on me donnait : « N’indique surtout pas que tu es handicapée sinon on va jeter ton CV à la poubelle tout de suite ». Ce message est dévastateur. Cela revient à nier ce que nous sommes.
En France, 2,6 millions de personnes sont titulaires d’une reconnaissance administrative de handicap (RQTH) et leur taux d’activité est bien inférieur à la moyenne (42 % contre 71 % en 2020 selon l’institut de la statistique).
Voyez-vous d’autres conseils ?
Marion Allorge : Mettre en place des groupes de soutien ou de discussion dans les entreprises pour les salariés en situation de handicap. Mais aussi évaluer l’inclusivité en effectuant des audits, afin de voir les domaines dans lesquels s’améliorer.
Je donne un exemple concret : dans mon ancienne entreprise, j’avais parfois des cocktails le midi… qui se déroulaient sur des tables hautes, sans chaise pour s’assoir. D’une part, cela me mettait mal à l’aise car je devais mettre mes mains de l’avant. Et, ensuite, je ne pouvais rester debout trop longtemps. Avec un audit, l’entreprise aurait pu s’en rendre compte. On peut aussi penser à des enquêtes anonymes.
Enfin, j’y reviens : il faut revoir sa posture de personne handicapée. C’est très bien de faire des sensibilisations pour l’ensemble du personnel, mais il faut aussi former les personnes souffrant de handicap afin que ces dernières se sentent bien dans l’entreprise, sans se faire du mal au travail. En effet, une étude conduite par le MIT et Harvard
montre que les salariés heureux sont deux fois moins malades, 31 % plus productifs et 55 % plus créatifs.
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