La Nouvelle Place : un projet de média social québécois pour se libérer de l’emprise de GAFAM
24 novembre 2023
Passée la première vague d’indignation, le blocage des nouvelles canadiennes sur Facebook a provoqué une réflexion de fond sur la survie des journaux québécois. Des artisans du milieu essaient aujourd’hui d’imaginer un monde où les médias, mais aussi et surtout les citoyens québécois, ne seraient plus les « otages » des grandes plateformes numériques. C’est la proposition qu’explore l’ancien journaliste Steve Proulx, président-fondateur de l’agence de contenu 37e Avenue, à travers le balado La Nouvelle place (LNP).
Au début du blocage des nouvelles sur Facebook, l’ancien chroniqueur au journal Voir a publié une lettre ouverte dans le Devoir où il se désolait qu’une forte proportion de la population québécoise (42 %) s’informe principalement sur les médias sociaux.
Facebook peut prendre les décisions qu’elle veut en ce qui concerne l’information que verront (ou pas) ses utilisateurs. Son algorithme, qui fait le « tri » de l’information qui nous est servie, devient ainsi un improbable pilier de notre démocratie. Un pilier 100 % privé, imaginé par des gens en Californie et visant l’enrichissement d’actionnaires. »
Cette lettre a été le point de départ d’une réflexion menée dans le balado LNP, produit par 37e Avenue. Une réflexion qui s’est rapidement transformée en projet de création d’un média social «nouveau genre», axé sur l’idée de « place publique ».
Nous méritons certainement mieux que ces machines mercantiles de captage de données personnelles pour échanger avec nos proches, s’informer, apprendre, se divertir, fait valoir Steve Proulx sur le site de LNP. Et pourquoi pas un média social axé sur le bien commun, qui refuserait d’enfermer la population dans des algorithmes opaques qui polarisent comme jamais nos sociétés? »
Nous nous sommes entretenus avec lui pour mieux comprendre le projet.
Isarta infos : Au delà de l’idée initiale de créer une place publique virtuel en remplacement des médias sociaux traditionnels, comment envisagez-vous ce projet concrètement? S’agit-il d’un nouveau média social, d’un forum, d’un agrégateur de nouvelles?
Steve Proulx : La forme finale dépendra des discussions qui émaneront ces prochaines semaines des groupes de travail. Est-ce que ça pourrait, par exemple, ressembler à une sorte d’Apple News+ pour le Québec, avec des éléments « sociaux » de commentaires et de discussions à la YouTube? Peut-être.
Plus qu’un simple agrégateur de nouvelles, il me semble important de rassembler sur une même plateforme des médias (locaux, notamment), mais aussi les citoyens, les entreprises, les institutions publiques, qui font aussi partie de la société et qui ont un rôle à jouer dans ce qui serait une place publique virtuelle. C’est du moins l’ambition que nous avons, les trois instigateurs du projet.
Le problème du contrôle de l’information par les grandes plateformes numériques – un enjeu aussi lié à celui de la censure – est mondial. Une des solutions technologiques qui se dessinent est la création de médias sociaux «décentralisés» ou «distribués» (ex : Mastodon). Comment LNP se positionne par rapport à ce mouvement?
S. P. : Le côté «local» du projet est important et nous distingue de Mastodon. Aujourd’hui, où va-t-on pour savoir ce qui se passe dans notre ville, dans notre quartier, sur notre rue, pour découvrir de bons balados québécois en français ou pour lire des analyses différentes et locales sur des sujets qui nous touchent, nous, ici? On espère trouver ça dans les médias sociaux… mais le contenu québécois se retrouve très vite noyé dans bien d’autres choses. Ce serait le fun d’avoir un endroit où le Québec peut aller se voir.
À l’origine de LNP, il y a une envie d’offrir aux médias québécois et fournisseurs de contenus québécois une plateforme pour partager et faire connaître leurs contenus. Une plateforme qui ne serait pas gérée de façon opaque par des entreprises étrangères et auprès desquelles on n’a peu ou pas de contrôle. Nous voulons créer une plateforme qui sera gérée sous la forme d’une coopérative.
L’aspect coopératif est central au projet ?
S. P. : En effet, c’est un autre aspect différenciateur. Les règles de gestion de la plateforme seront votées démocratiquement par ses membres. Les algorithmes seront transparents. S’il y a de la publicité, un mécanisme de redevance aux fournisseurs de contenus sera prévu et le montant des redevances sera voté par les membres, qui pourraient aussi recevoir une ristourne.
Je reviens à la dimension technologique… Les médias sociaux « décentralisés » semblent aussi apporter des réponses sur la transparence des algorithmes et au niveau de la gouvernance des données et des contenus. Pourquoi ne pas simplement encourager ces plateformes?
S. P. : On est en ce moment dans un contexte où les géants numériques menacent les structures, l’existence même de nos médias locaux. Il faut trouver des solutions pour préserver cette structure, notre culture. Il nous faut trouver un moyen de faire en sorte que les géants numériques ne soient pas en train de menacer un élément central de notre démocratie! C’est ce qui est en train de se passer en ce moment, et je ne pense pas que la réponse à cet enjeu soit : « Allez sur Mastodon! »
Ça va nous prendre de la coopération et de la collaboration. Actuellement, on n’est pas dans « comment on va le faire », mais plutôt dans « qui veut le faire et qu’est-ce qu’on veut faire? » Depuis la fin de notre campagne de recrutement, nous sommes maintenant une trentaine de personnes à avoir levé la main pour imaginer l’avenir de cette future nouvelle place.
Il y a dans notre groupe des patrons de médias, des gens du monde coopératif, des cadres, des gens de marketing ou des relations publiques, des experts UX, des stratèges numériques, des journalistes. Bref, une équipe multidisciplinaire de personnes qui ont envie que cette plateforme existe et qui vont travailler à la faire naître ces prochains mois.
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