« L’intelligence artificielle n’existe pas ! »
Par Kévin Deniau
29 septembre 2021
Et ce n’est pas n’importe qui qui le dit : Luc Julia est un expert mondial du sujet, étant notamment le co-créateur de l’assistant vocal Siri, racheté quelques années plus tard par Apple. Devenu vice-président chargé de l’innovation de Samsung puis, plus récemment, directeur scientifique du constructeur automobile français Renault, l’ingénieur était en conférence le 21 septembre dernier. Voici les faits saillants de son intervention.
Il y abordait son thème fétiche : l’intelligence artificielle ! Ou plutôt les mythes autour de l’intelligence artificielle. En 2019, il signe en effet un ouvrage de vulgarisation sur le sujet afin de mettre à mal tous les fantasmes autour de cette discipline, lui qui préfère l’expression « intelligence augmentée ».
« Une vaste fumisterie »
Tout est parti d’un immense malentendu, témoigne-t-il. En 1956, lors de la conférence de Dartmouth, John McCarthy a convaincu ses collègues d’employer l’expression « intelligence artificielle » pour décrire une discipline qui n’avait rien à voir avec l’intelligence. Tous les fantasmes et les fausses idées dont on nous abreuve aujourd’hui découlent de cette appellation malheureuse. »
Ces chercheurs croyaient avoir réussi à modéliser un neuronne et donc à pouvoir recréer un réseau de neuronnes donc un cerveau donc de l’intelligence. Une simplification à outrance voire « une vaste fumisterie » lance-t-il.
Depuis, pourtant, l’expression s’est répandue, notamment ces dernières années. « C’est l’intelligence artificielle d’Hollywood, celle des films Terminator ou Her », résume-t-il. Celle qui fait peur, celle de toutes les dérives, celle qui va remplacer l’être humain.
Une machine à calculer
Pourtant, à y regarder de plus près, Luc Julia assure qu’il ne s’agit que d’un simple outil, certes de plus en plus perfectionné.
En 1997, les médias font les gros titres de la défaite du champion d’échec Gary Kasparov face à la machine Deep Blue. Une surprise ? Pas du tout selon Luc Julia.
Aux échecs, il existe 10 puissance 49 coups possibles. Il suffit juste d’avoir un ordinateur avec beaucoup de mémoire et une grande capacité de calcul pour calculer les chemins possibles. L’Homme n’a ici aucune chance de gagner ».
Il rappelle à ce titre les progrès en la matière depuis la Pascaline, en 1642, la première machine à calculer de l’inventeur Pascal. Mais à quel prix ?
« Cela demande une énergie folle »
En 2016, la machine bat le champion du monde du jeu de Go, un jeu beaucoup plus compliqué que les échecs où il existerait plus de 10 puissance 200 voire 600 coups possibles. L’infini en somme. Autrement dit, il y a des coups qui n’ont encore jamais été joué dans l’histoire.
Ici, la machine ne fonctionne pas sur un modèle logique mais statistique, explique l’ingénieur. Elle va faire des statistiques à partir de 30 000 parties qu’on lui a fait mémoriser. Et quand on ouvre la machine, on retrouve 1 500 puces d’ordinateur et 300 puces graphiques… soit l’équivalent de 2 000 ordinateurs juste pour jouer au Go ! »
Et pour une consommation électrique de 440 KWatt… sachant que celle d’un être humain dépasse à peine 20 Watts, soit 20 000 fois moins !
Les méthodes de ces intelligences demandent une énergie folle, confie-t-il. C’est une aberration. Sachant qu’avec nos 20 watts, nous pouvons parler, manger, faire plein d’autres choses. La machine, elle, ne fait que jouer au jeu de Go. On voit donc que cette intelligence n’a rien à voir avec la nôtre ».
Luc Julia illustre cela avec les moteurs de recherche qui sont capables de reconnaître des images de chats dans 98% des cas grâce à des bases de données de 100 000 chats… alors qu’un enfant n’a besoin que de 2 chats pour assimiler cet animal ! Il n’y a donc pas de raison qu’elle devienne plus intelligente que nous, résume-t-il.
Sans oublier un élément déterminant : les données. « L’intelligence artificielle » ne peut faire sans. Le problème : comment s’assurer qu’elles ne sont pas biaisées ? Surtout si on fait appel à des bases de données historiques et donc qui ne reflètent peut-être plus les normes des sociétés actuelles. Et vouloir les débiaiser… ne sont qu’une autre façon d’ajouter nos propre biais. On touche ici à l’enjeu éthique autour de l’IA.
Pour Luc Julia, l’important aujourd’hui est d’éduquer pour comprendre. Et d’en finir avec cette notion de boîte noire de l’intelligence artificielle où l’on ne sait pas ce qui se cache à l’intérieur.
Il n’y a pas de boîte noire pour celles et ceux qui les inventent. Ils peuvent expliquer les algorithmes qu’ils ont mis en place et dire comment cela fonctionne. Les sciences font ça depuis tout le temps ! »
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