« Productivité lente », la nouvelle fable de Cal Newport
5 juin 2024
La volonté de vouloir séparer les concepts de rapidité et de productivité n’est pas nouvelle. L’illustration la plus célèbre provenant sans doute de la fable de La Fontaine, le lièvre et la tortue. Dans son nouveau livre, le professeur d’informatique américain et blogueur Cal Newport fait une défense convaincante de la thèse selon laquelle il est préférable de «faire moins pour faire mieux». Explications.
Dans un monde hyperconnecté où la performance est reine, Cal Newport détonne, avec des livres comme Digital Minimalism et Deep Work, où il invite les travailleurs à décrocher des médias sociaux pour mener des vies plus saines et enrichissantes. Dans son nouveau livre titré «Slow Productivity: The Lost Art of Accomplishment Without Burnout», paru en mars dernier, il revisite le concept même de productivité qui, selon lui, est mal adapté à notre époque.
Notre définition actuelle de la productivité est défaillante, annonce-t-il en 4e de couverture de son livre. Ça nous pousse à considérer le fait d’être occupé comme un indice de mesure pour un effort utile, ce qui mène à des listes de tâches et des réunions interminables. Nous sommes submergés par tout ce que nous avons à faire et au bord de l’épuisement, laissés à nous-mêmes avec le choix soit de joindre une culture de l’acharnement [«hustle culture»] qui sape l’âme soit de renoncer à toute ambition. Mais est-ce réellement les seuls choix?»
Dans son livre, Cal Newport propose d’appliquer au monde du travail la vision de l’italien Carlo Petroni – qui a popularisé le concept de «slow food». La «productivité lente» proposée par Newport s’articule autour de trois principes :
- «faire moins de choses»
- «travailler à un rythme naturel»
- et «se concentrer sur la qualité»
Si vous n’êtes pas obsédé par la qualité de ce que vous faites, alors je suis d’accord, autant envoyer juste beaucoup de courriels», ironise-t-il, dans une entrevue avec Adam Grant. C’est cette obsession pour la qualité qui donne tout son sens aux deux autres principes», précise-t-il.
Revenir à l’esprit bohème des artistes
La productivité lente découle d’une réflexion sur l’évolution du concept de productivité, dans les dernières décennies. Pour Cal Newport, il est vain de vouloir calculer la productivité de la même manière dans une usine [en découpant et en optimisant chaque geste et processus] que dans l’industrie du savoir [où la complexité et la créativité varient grandement d’une tâche à l’autre].
Si on voit les travailleurs de l’industrie du savoir comme des gens assis à un bureau en train d’écrire, on se coupe d’une sagesse traditionnelle qui pourrait être pertinente pour un type d’activité résolument moderne. En s’inspirant de la grille d’analyse de Petroni, nous devrions considérer une définition plus large de la productivité », assure-t’il.
Le chercheur américain définit la productivité issue de l’industrie du savoir comme suit: «l’activité économique dans laquelle le savoir est transformée en artefacts ayant une valeur marchande à travers un effort cognitif». L’intérêt de cette définition est de placer dans une même catégorie de productivité «cognitive» les métiers de cols blancs comme les programmeurs, les comptables ou les gestionnaires avec des métiers traditionnels comme les écrivains, les artistes, les scientifiques ou les musiciens qui ont toujours bénéficié d’une grande liberté dans la gestion de leur horaire.
C’est exactement cette liberté traditionnelle qui est intéressante pour notre projet sur la productivité; car [les artistes et les scientifiques] ont toujours bénéficié du temps et de l’espace requis pour expérimenter et trouver ce qui fonctionne le mieux, quand vient le temps de créer de manière durable des choses de valeur en utilisant le cerveau humain », écrit-il.
Cal Newport ne propose pas de faire un «copier-coller» de ce que font les artistes ou les scientifiques pour produire leurs œuvres. L’idée est plutôt de dégager les principes généraux et de les transposer dans un contexte plus pragmatique du secteur du savoir, précise l’auteur.
Il y a une leçon à tirer dans le fait de ralentir avant de s’attaquer à un gros projet», fait-il valoir.
Pour Cal Newport, l’enjeu revient à réduire non pas le nombre d’heures (il est sceptique sur la semaine de 4 jours) mais la charge de travail de chacun. En somme, il propose de prendre plus de temps pour mieux faire. Plus facile à dire qu’à faire!
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