Questions RH: L’Oréal réinvente ses méthodes de recrutement pour attirer les profils numériques
Nicolas Pauthier est Vice-Président RH – Digital pour le Groupe L’Oréal. En charge au niveau mondial du recrutement des profils numériques, il nous parle des nouveaux enjeux que le digital a amené dans l’entreprise.
Quel est votre rôle chez L’Oréal?
Nicolas Pauthier: au sein du Groupe depuis 20 ans, j’ai toujours exercé mes fonctions en ressources humaines. J’ai commencé en France avant d’être DRH pour l’Asie du Sud-Est, à Singapour, puis en Allemagne. Je suis rentré à Paris l’été dernier, où je suis désormais en charge du recrutement des profils numériques au niveau mondial ainsi que des leviers RH qui vont accélérer la transformation numérique du Groupe, comme le programme de formation que nous déployons internationalement.
En 2014, au moment de l’arrivée de notre «Chief Digital Officer», Lubomira Rochet, le Groupe a décidé créer une job de DRH spécifiquement pour cette population digitale, qui a qui a été multipliée par 4 en seulement 5 années.
Notre petite équipe RH est basée à Paris, mais nous avons des relais à New York et à Shanghai, car l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et la Chine sont deux régions extrêmement avancées en matière de numérique. On observe ces marchés, les modes de recrutement mais aussi les tendances dans l’organisation du travail, et généralement, les mêmes pratiques arrivent en Europe quelques mois après.
Notre travail, en France, est donc de nous assurer que chaque pays est outillé pour mettre en place notre stratégie de recrutement, et de faire en sorte que les bonnes pratiques des pays les plus avancés comme les États-Unis ou le Canada, par exemple, circulent et fonctionnent dans le reste du monde.
En quoi le recrutement de profils numériques nécessite-t-il une approche différente des autres embauches?
N.P.: d’une part, les volumes sont très importants, et ça va crescendo: on a recruté 350 personnes en 2015 dans la filière numérique, et on prévoit un nombre équivalent cette année.
D’autre part, il s’agit de profils et de métiers nouveaux pour nous. Chaque recruteur de L’Oréal dans nos différentes filiales est très à l’aise pour recruter un chef de produit ou un gestionnaire de compte par exemple: ça fait comme partie de son ADN. Il sait où le trouver, comment l’évaluer, quel type de parcours lui proposer au sein de l’entreprise, etc.
Alors qu’en numérique, l’environnement est mouvant, les métiers évoluent rapidement. Notre rôle est donc d’aider les équipes RH localement (L’Oréal a un système de recrutement décentralisé, ndlr.) à établir les descriptions de jobs, à savoir où trouver chaque type de profil, comment les aborder, etc.
Quels sont les métiers numériques que l’on peut exercer chez L’Oréal?
N.P.: tous les métiers sont possibles! Disons qu’au niveau mondial, environ 40% de notre population numérique exerce un emploi directement lié au marketing: création de contenu, développement de campagnes numériques, de campagnes de «search», etc. Cependant, ces métiers seront bientôt ceux qui feront le quotidien de nos marketeurs: d’ici 3 à 5 ans, ce type compétences seront les leurs.
Cela fait d’ailleurs partie de notre ambition de transformation digitale: on bâtit ce que l’on appelle un «marketing 3.0», c’est à dire un marketing numérique dans un monde lui aussi complètement numérique.
Ensuite, environ 25% de notre population numérique travaillent en commerce électronique: soit du e-commerce direct, sur nos propres sites marchands, soit via le e-retail, sur les plateformes de nos partenaires, comme Sephora par exemple.
Enfin, une troisième et dernière partie de cette population se divise entre les métiers liés aux CRM et à la relation consommateur, aux nouveaux médias, aux campagnes programmatiques ainsi qu’à l’exploitation des données.
Le fait que ces métiers soient nouveaux demandent-ils de nouvelles façons d’aborder les candidats?
N.P.: oui. On constate que la majorité des embauches se font soit par du sourcing direct, soit par du référencement. Dans ce milieu, il n’est pas rare que les gens se connaissent et se recommandent.
On associe également les responsables numériques déjà en poste aux différentes étapes de recrutement. C’est leur métier, leur expertise: ils sont nos meilleurs conseillers.
On encourage aussi les pays à nouer des partenariats avec des incubateurs, parce que les créateurs de jeunes pousses sont typiquement des profils qui peuvent nous intéresser. Nous sommes persuadés que que petit à petit, en les côtoyant et en leur expliquant nos métiers, on peut convaincre ces jeunes entrepreneurs qu’une grande entreprise comme L’Oréal, avec ses 35 marques dans 140 pays, peut leur offrir des opportunités assez proches de celles d’un start-up: après tout, quand vous lancez un site de commerce en ligne Lancôme dans un pays à partir de rien, la démarche d’entrepreneuriat est la même!
Autre initiative: on organise des journées de recrutement avec des blogueuses et des vlogueuses, qui ont naturellement développé un savoir-faire incroyable en matière de communication et de gestion de communauté. On leur présente nos marques, la façon dont on travaille, et certaines sont intéressées pour exercer leur métier – leur passion, même – dans le cadre de L’Oréal.
Donc oui, nous prenons de nouvelles initiatives pour attirer de nouveaux talents et on fait des essais-erreurs pour voir ce qui marche le mieux. Mais nous ne délaissons pas pour autant le reste et nous continuons bien sûr nos partenariats avec les écoles traditionnelles.
Hormis le recrutement, quels sont les autres leviers de transformation numérique, côté RH?
N.P.: L’Oréal, c’est 80 000 personnes dans le monde et on veut que tout le monde embarque dans cette transformation. On a donc développé un programme de formation, qui a démarré il y a 15 mois, et qui a touché 5000 personnes en 2015 (on prévoit d’en former 8000 cette année). Ce programme est baptisé «Digital Upskilling» pour souligner l’idée d’une montée en puissance forte et rapide du numérique. C’est à la fois très massif et très ciblé, car les approches diffèrent selon les métiers, les niveaux hiérarchiques, etc.
Par exemple, nous avons mis en place du mentorat inversé pour les 250 «top executives» du Groupe. Chacun d’eux a bénéficié de 8 séances individuelles avec un expert du numérique, qui leur a expliqué quels sont les enjeux du numérique: qu’est-ce que le «search», comment et pourquoi utiliser Instagram ou Snapchat, quelles sont les différentes étapes du «purchase funnel», etc. C’est une initiative d’autant plus intéressante qu’elle permet de casser les éventuelles barrières générationnelles entre les patrons de pays et les jeunes employés issus, bien souvent, de la génération M.
Pourquoi, selon vous, L’Oréal va réussir son virage numérique?
N.P.: d’abord, nous sommes convaincus que la dynamique doit venir du haut, et en cela nous avons beaucoup de chance car notre Président, Jean-Paul Agon, est totalement investi dans le projet. Il a d’ailleurs fait du numérique l’une des trois priorités stratégiques du Groupe.
Par ailleurs, en 100 ans d’existence, L’Oréal a vécu de multiples changements d’environnement et a toujours su s’adapter: cela fait partie de notre culture d’entreprise, et nos équipes sont ouvertes aux changements.
Enfin, le numérique nous remet en cause et nous fait progresser, il redéfinit les fonctions de l’entreprise et au-delà de cela, nos façons de travailler avec plus d’agilité et de coopération entre les départements. L’agilité ne se décrète pas: il faut la vivre au quotidien, l’encourager. C’est petit à petit, à tous les niveaux de l’entreprise, que la mécanique doit se mettre en place pour faire de L’Oréal le leader mondial de la beauté connectée.