Jacques Bouchard, père de la publicité québécoise: retour sur la conférence de Marie-Claude Ducas
Lors d’une conférence donnée par la Toile des Communicateurs, Marie-Claude Ducas, journaliste, auteure et chroniqueur médias au Journal de Montréal, est revenue sur le parcours de Jacques Bouchard, le créateur de la publicité québécoise.
Jacques Bouchard est l’un de nos premiers héros du 21e siècle, de ceux qui transcendent l’Histoire».
C’est ainsi que Marie-Claude Ducas, auteure de la biographie Jacques Bouchard: Le créateur de la publicité québécoise, débute sa conférence, ce mercredi 25 novembre à la Toile des Communicateurs.
Il faut dire que le fondateur de l’agence BCP (aujourd’hui absorbée par le groupe Publicis) a été un précurseur à de nombreux égards.
Un publicitaire à contre-courant
C’est dans les années 50 que Jacques Bouchard décide de devenir publicitaire: une époque où l’industrie est largement dominée par les Anglais, et où un concepteur publicitaire francophone occupe en réalité un poste de traducteur. Jacques Bouchard choisit de s’en amuser, et recueille les traductions les plus aberrantes dans son «sottisier de la pub». Un comportement qui va le pousser à la porte de l’agence pour laquelle il travaille, après qu’il ait tenté d’adapter un texte plutôt que de le traduire littéralement.
Il est ensuite recruté chez Steinberg, un épicier fort connu de l’époque, où il est au plus près des consommateurs et partage le quotidien de la communauté juive – un aspect qui l’intéresse grandement, conscient qu’il est que les Québécois constituent, eux aussi, une minorité.
Puis il intègre l’agence J. Walter Thompson, où il est, entre autres, en charge de faire connaître la brasserie Labatt, avant d’y travailler directement et d’aider la marque à s’imposer sur le marché québécois, avec le succès que l’on sait.
À la même période, il crée le tout premier regroupement de publicitaires francophones, une initiative qui fait beaucoup parler et pas toujours en bien… Certains patrons anglophones en interdisant même l’accès à leurs employés.
Des publicités pour les Québécois
Mais qu’à cela ne tienne, Jacques Bouchard est bien décidé à prendre un chemin différent et décide pour cela de monter ce que l’on appellerait aujourd’hui une start-up: il fonde BCP en 1963, en pleine Révolution Tranquille. Optimiste, doté d’un sens inédit de la formule, il acquiert quelques clients et son agence francophone fait les manchettes des journaux de tout le pays.
Ses publicités pour Labatt mettent en scène des cols bleus, et la formule «Lui, y connaît ça», désormais célèbre et maintes fois reprises dans divers contextes, devient une sorte de nouvelle devise pour les Québécois.
La devise officieuse du Québec a longtemps été «On est nés pour un p’tit pain», et Jacques Bouchard a changé ça en valorisant le travail et l’expertise des ouvriers, des gens du terrain. Avec sa formule «Lui, y connaît ça», il a réussi a distinguer le Québec et à transmettre un message qui a de la valeur», explique Marie-Claude Ducas.
Plus tard, la nouvelle devise du Québec pourrait être «On est 6 millions, faut se parler», derrière laquelle on retrouve, à nouveau, M. Bouchard.
Les messages sont portés par ce que le publicitaire appelle «L’Olympe Québécois», des artistes tels qu’Yvon Deschamps ou Claude Meunier, qui véhiculent les messages sans être de simples porte-paroles. C’est l’effervescence du milieu culturel québécois, auquel M. Bouchard a grandement contribué: vedettes, mais aussi réalisateurs, maisons de production, studio d’enregistrement…
Jacques Bouchard était aussi l’homme de communication derrière Pierre-Elliott Trudeau, et faisait en sorte, entre autres, que ce dernier ait la bonne approche avec les Canadiens français», ajoute Marie-Claude Ducas.
Un homme concerné par sa communauté
Entrepreneur, personnage apprécié et reconnu dans la rue, Jacques Bouchard prend position sur des enjeux qui vont bien au-delà de la seule industrie publicitaire. Il est par exemple très concerné par la qualité de la langue française au Québec, la démographie, les questions liées à l’écologie ou encore le tabou de l’argent.
Mais surtout, il sait provoquer la conversation: il a compris que la corde à linge est de loin le plus puissant des médias.
Jacques Bouchard est un homme qui a d’emblée identifié quelles étaient nos racines: nos influences multiples, notre capacité à concilier affaires et créativité, le fait que les Québécois constituent une minorité, leur côté terrien… Il avait une très grande conscience de la communauté dans laquelle il vivait. Il est d’ailleurs le premier à avoir lancé des publicités au bénéfice de causes. Il était préoccupé par bien d’autres choses que sa seule business», conclut Mme Ducas.
Avec sa présentation, Marie-Claude Ducas a démontré à quel point cet homme visionnaire a su, alors que tout concordait pour qu’il n’y arrive pas, prendre un chemin de traverse pour aller de l’avant et créer une industrie publicitaire en accord avec les attentes, les besoins et la culture du Québec.