Jean-François Renaud (Adviso) : « Cette crise a été un révélateur de la marque employeur des entreprises »
Par Kévin Deniau
8 septembre 2020
Cette rentrée ne sera définitivement pas comme les autres. La crise de la COVID-19 et ses multiples conséquences ont profondément et durablement bousculé nos certitudes et manières de faire. Pour essayer de s’orienter dans ce brouillard, nous vous proposons une série d’entrevue avec des chefs de file de l’industrie sur leur vision des temps à venir.
Après Roger Duguay de Boyden, Rachelle Houde Simard de Tam-Tam\
Avant toute chose, peux-tu nous dire comment vous avez vécu et traversé cette crise chez Adviso ?
Jean-François Renaud : Déjà, il y a eu le volet du travail. On avait emménagé depuis un an et demi dans de nouveaux locaux de 15 000 pieds carrés sur le Plateau et on croyait énormément dans la culture présentielle au bureau. Le virtuel ne remplace pas totalement en effet le fait de se voir, de se comprendre, d’avoir de l’empathie l’un pour l’autre. Même si, au final, on s’est rendu compte qu’on était beaucoup plus prêt pour le télétravail qu’on ne le pensait.
Il y a aussi eu le défi des clients. Certains ont fait faillite ou, du moins, ont eu des difficultés de paiement. Donc il y a eu une pression financière immédiate et un petit sentiment de panique dans les premiers jours. Puis, on a repris le contrôle de nos finances.
Tu as aussi très vite réagi en faisant toutes les semaines des apéros virtuels.
J-F. R. : En effet, on avait une tradition chez Adviso de faire des 5 à 7 les jeudis ou les vendredis. Et dès la première semaine du confinement, on a décidé de le faire en Facebook Live. L’idée, c’était d’essayer de décanter ces semaines de folie que l’on vivait.
Il y avait un réel désir d’introspection de l’industrie et de parler ouvertement de ce que nous vivions. Au début, je voulais l’animer juste en mode questions / réponses. Mais on a eu une invitée la première fois et j’ai décidé d’en avoir à chaque fois ensuite.
Pour être honnête, c’est devenu une stratégie marketing en soi après. Mais, à l’origine, c’était vraiment une démarche spontanée. On est d’ailleurs en train de penser à une future formule désormais.
Tu parlais des salariés au début. Comment avez-vous géré cette question sensible ?
J-F. R. : Nous avons malheureusement dû remercier des salariés avec qui il y avait déjà des difficultés. On parle de cinq personnes sur une centaine mais nous ne pouvions pas, en télétravail, leur fournir l’accompagnement rapproché dont elles avaient besoin.
Néanmoins, nous n’avons fait aucune mise à pied. Nous avons préféré faire une modulation de salaire pour tout le monde. Et, quand on a reçu des aides, nous avons rétrospectivement tout redonné aux salariés et personne n’a rien perdu.
Tout le monde avait-il suffisamment de travail au quotidien ?
J-F. R. : C’est une chose dont je suis le plus fier. En fait, nous avions évidemment des employés qui étaient à 125 % et d’autres à 15 %. Nous avons donc mis en place un programme : les personnes qui avaient moins de choses à faire, on leur a dit qu’on les gardait malgré tout, car on savait qu’on aurait besoin d’elles par la suite.
Mais ceux qui travaillaient fort auraient pu trouver cela injuste. Alors, on a encouragé les premiers à aller faire du bénévolat. Car il faut voir que c’est aliénant et dur psychologiquement aussi d’être payé à ne rien faire. D’une part, cela occupait leurs journées, ils se sentaient utiles, fiers d’eux-mêmes et cela aide la société.
Je pense que cela a démontré concrètement les valeurs de l’entreprise. Cette crise a permis d’offrir un vrai révélateur de la marque employeur et du mode de gestion des entreprises. Ceux qui ont manqué de considération pour leurs employés ou qui ont mis tout le monde dehors, je pense qu’ils vont avoir des problèmes prochainement.
Beaucoup ne vont en effet plus avoir le goût de travailler pour leur employeur s’il leur a manqué de respect. À l’inverse, d’autres vont vouloir se défoncer encore plus pour leur entreprise. Cela va faire une différence énorme à l’avenir. On ne joue pas avec des ressources humaines comme on le fait avec des ressources matérielles. Certains n’ont pas compris ça et cela va se répercuter sur leur capacité à recruter ou à fidéliser leurs employés après la crise.
Et vis-à-vis des clients, quelle a été votre approche ?
J-F. R. : En fait, nous n’avons jamais arrêté d’être proactifs envers nos clients. Nous avons même monté une cellule de « créativité d’affaires ». C’était un système où chacun pouvait être invité pour réfléchir à des idées à mettre en place pour nos différents clients. Même si ce n’était pas celui de tel ou tel salarié.
Nous avons semé ainsi plusieurs graines de la sorte. Et si nous n’avions pas eu cette attitude proactive, moins de choses ne se seraient passées, c’est évident. Les clients étaient un peu figés par cette situation et c’était à nous de les aider à visualiser des actions possibles à mettre en place.
Cela a aussi envoyé le signal que nous ne baissions pas les bras. On a essayé en fait de transmettre cet état d’esprit positif autour de nous.
As-tu été surpris à titre personnel par certains événements lors de cette période paranormale ?
J-F. R. : Paranormal, c’est en effet le mot. Et bien, je dirais que j’ai été surpris… de ne pas être surpris ! Cela fait des années que je fais des conférences sur l’importance de la transformation numérique.
Et en fait, c’est comme si cette crise avait mis le monde sur « avance rapide » et que tout le monde a subitement réalisé l’enjeu de cette transition numérique. Ce qui devait arriver est arrivé plus rapidement que prévu pour ceux qui n’étaient pas prêts.
Nos clients qui avaient 20 % de leurs revenus en numérique ont réussi à les monter parfois jusqu’à 30 % ou 40 %. Mais ceux qui étaient à 2 %, ils n’ont malheureusement pas réussi à faire grand chose.
Certaines décisions gouvernementales m’ont surpris aussi. Par exemple, on dit à Costco ou Canadian Tire qu’ils ont le droit d’ouvrir mais pas Sail. C’est terrible pour certains marchands. On aide ceux qui n’en ont pas forcément besoin et on nuit à d’autres qui sont en difficulté. Cela créé des injustices énormes.
Autre exemple avec les subventions. Si tu as une perte de 30 % de tes revenus, tu as le droit à une subvention énorme. Si c’est 28 %, tu n’as le droit à rien. C’est injuste. D’autant qu’il y en a qui avaient effectivement des pertes à cause de la COVID. Mais, pour d’autres, c’était du fait de leur manque de vision ou d’une gestion douteuse. Donc, ceux qui vont bien, qui ont pris des bonnes décisions, on ne les aide pas. Et ceux qui sont déjà sous respirateur, on les aide. Il y a un petit côté suréaliste là-dedans.
Un mot sur le télétravail qui va vraisemblablement se pérenniser. Quel est ton opinion sur le sujet, sachant que tu disais être très attaché au présentiel ?
J-F. R. : On ne croyait pas au télétravail en effet mais on a découvert que c’était possible et… drôlement efficace ! Cela offre des avantages pour la vie de famille, le style de vie, la productivité. On s’est rendu compte de tout cela et on a un peu changé notre fusil d’épaule.
Le retour se fera chez nous avec une plus grande place accordée pour le télétravail. Selon les sondages internes que l’on fait régulièrement, on s’enligne vers deux à trois jours par semaine au bureau et le reste en télétravail.
Le défi, pour nous, va être de planifier les horaires de tout le monde car nous n’avons pas des équipes dédiées spécifiquement à un client. En fait, on se met en tête que, désormais, on aura tout le temps des réunions avec des personnes présentes physiquement et d’autres en virtuel. Il faut le prendre pour acquis.
Et, nous sommes prêts pour ça. Nous n’avions déjà aucun logiciel installé sur nos PC, tout était déjà dans le nuage. Nous étions aussi déjà équipés d’ordinateurs portables. Il faut en effet que nous soyons en capacité de faire des réunions à distance ou non, sans difficulté.
Un dernier mot sur ton état d’esprit en cette rentrée. Es-tu optimiste ?
J-F. R. : En fait, depuis 2002, année de la création d’Adviso, c’est la première fois que nous n’atteignons pas nos objectifs. Chaque année, nous grandissons de 15 % généralement.
Est-ce que nous allons atteindre les objectifs de cette année, l’an prochain finalement ? On le pense. On envisage de faire même un peu mieux. Mais nous sommes dans une logique de chaos. Il est quasi impossible de se projeter car il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas qu’on ne sait pas.
Pour la première fois, nous n’avons donc pas fait de planification annuelle détaillée cette année. On ne fonctionne que par trimestre en ce moment car il peut suffire d’un simple coup de vent pour que tout change. Mais, globalement, nous sommes confiants pour l’année prochaine !
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