La rédaction Web en 10 règles (2è partie)
Par Pascal Pelletier
Dans la première partie de son texte La rédaction Web en 10 règles, publiée ici, notre collègue Pascal Pelletier a commencé à explorer les moyens par lesquels il est possible de rédiger des contenus Web en évitant un maximum d’écueils. Aujourd’hui, nous complétons cette série de deux textes en fouillant quelques moyens par lesquels la rédaction d’un texte Web peut atteindre – ou non – sa cible.
– CB
Règle 6 : Évitez un style trop promotionnel
«Sachez que l’internaute est souvent pressé (car tellement sollicité!) et qu’il recherche avant tout de l’information qualitative qui répond à ses centres d’intérêt ou à ses questionnements. Donc, évitez les messages publicitaires et d’auto-promotion qui risquent de l’agacer un peu… »
Pour Jakob Nielsen, l’un des plus célèbres gourous de l’ergonomie Web, le Web est un média cool, comme le journal. Aussi, dans ces médias, un style publicitaire trop criard passe mal.
En fait, les deux supports ont plusieurs similitudes. D’abord, ils livrent de l’information «principale», mais aussi toutes sortes d’autres choses: images, publicités, commentaires des lecteurs ou des internautes, etc. Ensuite, si on consulte un journal et le Web pour la même raison – parce qu’on recherche de l’info intéressante –, cela peut se faire soit le plus rapidement possible, soit en mode «butinage», comme au coin du feu avec un bon verre de scotch…
Dans un tel contexte, la publicité présente détonne par rapport aux autres textes, car au lieu de nous informer, on veut nous faire acheter. Aussi, ce n’est pas pour rien que, dans les journaux quotidiens, on déguise les annonces en articles, sous la forme de publireportages, où la publicité devient plus rationnelle, avec des témoignages d’experts, des preuves scientifiques, des statistiques… On réussit ainsi à mieux faire avaler les offres commerciales.
De toute façon, les lecteurs de journaux prennent vite des habitudes leur permettant de lire la publication sans être gênés par les annonces. Premièrement, étant donné que, dans un périodique, tout se résume en titres et en sous-titres, il devient facile de survoler ceux-ci à grande vitesse, de façon parfois presque inconsciente, pour savoir si la lecture des textes qu’ils présentent, publicités ou articles, peut nous intéresser ou pas.
Résultat: on apprend littéralement à ne pas voir la majorité des annonces publicitaires! Et l’on tourne les pages, et l’on survole celles-ci, et l’on choisit de lire ce qu’on veut vraiment lire… Le lecteur se déplace toujours en avant, les pages qu’il a quittées sont derrière lui.
Or, sur le Web, il n’a pas toujours cette liberté, car le mouvement est un peu différent: au lieu d’être linéaires, «à la surface» du média, les redirections se caractérisent par une dynamique multiplans et multidirectionnelle. Le clic ne nous emmène pas nécessairement en avant, mais ailleurs, sur un site ou hors de celui-ci (et souvent dieu sait où!).
Cela explique le faible niveau de tolérance des internautes face à certaines cyberannonces. En effet, lorsque celles-ci, trop résolument pub, surgissent au cours de ce processus de recherche, il s’agit alors d’une irruption, d’une interruption – voire d’une irritation pour l’internaute, qui ne peut ignorer cette annonce ainsi qu’il le fait en lisant un journal.
Par conséquent, quand un site doit vendre une organisation, un produit, un service, une idée, un comportement à faire adopter, etc., on a plus de chance de retenir un internaute dans sa lecture avec des textes «normaux», par opposition à «publicitaires». Le Web exige donc que l’on emploie des termes et un style factuels plutôt qu’un langage pub. Cela implique une approche «douce» et plus rationnelle, qui obéit aux règles suivantes :
Écrire « droit au but » (right to the point). Évitez les intros et les textes inutiles, surtout s’ils donnent dans l’«astuce»: jeux de mots, humour, mystère… Rédigez en fonction de la réponse à cette question: qu’est-ce que l’internaute doit savoir vite et bien? Aussi, au risque que j’enfonce encore ce clou: écrivez pour le point de vue de vos cibles – donc en fonction de leurs besoins («Vous bénéficierez de…») – et non du vôtre («notre service vous offre… »).
Écrire de la façon la plus objective possible. Les affirmations doivent donc être précises et justifiées par des exemples concrets, des chiffres, des témoignages, crédibles, etc. N’employez les adjectifs et adverbes qu’avec modération.
Évitez des formules ou des techniques trop bruyantes ou insistantes: points d’exclamation, argumentaire trop publicitaire (comme «Tout le monde emploie ce produit, faites-le aussi! »), etc.
Règle 7 : Soyez redondant… sans en avoir l’air!
Il ne faut pas hésiter à répéter plusieurs fois l’information principale, sous différentes formes et même les mots-clés. C’est bon pour le lecteur et pour les moteurs de recherche. »
– Frédéric Rauss
L’internaute est un cyberlecteur distrait et qui ne retient pas facilement ce qu’il lit sur Internet, et ce, un peu comme le lecteur d’un journal, pour des raisons similaires.
D’abord, la page d’un quotidien imprimée, comme celle d’un site, contient bien d’autres éléments que le texte que la personne est en train de lire, et ceux-ci peuvent détourner son attention. Sur une page Web, il peut aussi y avoir des clignotements ou autres animations. Ensuite, il y a les conditions mêmes de la lecture: un écran d’ordinateur, comme un journal, exige de la manipulation, bien que différente d’un support à l’autre, et il n’est pas rare que la lecture se fasse dans des conditions offrant toutes sortes de distraction: radio allumée, téléphone qui sonne, collègues entrant dans le bureau, etc.
C’est pourquoi il importe de redire l’information importante dans un même texte Web, pour s’assurer qu’elle «passera». Il y a plusieurs façons de le faire, en plus de répéter vos mots clés:
La répétition en d’autres termes dans le texte. Comme dans un communiqué de presse ou un article de journal, il est possible de répéter l’info principale au moins quatre fois, dans autant de parties du texte: le grand titre, le paragraphe lead (chapeau introductif avant le début de l’article proprement dit), le premier paragraphe (qui suit le lead) et plus loin dans le texte, souvent en conclusion. L’important est de ne pas commettre la maladresse d’employer exactement les mêmes mots d’une reprise à l’autre.
La reprise de l’information importante dans un encadré, une marge (colonne) ou une page secondaire. L’encadré, en plus d’accrocher l’œil, permet de briser la monotonie d’une longue suite de paragraphes (voir la règle no 8), tandis que la page secondaire sert à redire l’information avec plus de détails, évitant ainsi d’allonger par ceux-ci un texte principal, si c’est là qu’on les écrirait.
Une conclusion ou un tableau récapitulatif. On peut aussi présenter un tel tableau au début du texte, dans le lead.
Règle 8 : Brisez les longueurs par des sous-titres, liens ou visuels pertinents
En toute situation, chacun de ces fichiers (textes) ne devra jamais dépasser deux ou trois paragraphes sans se laisser interrompre par une photo, un graphisme ou quoi que ce soit d’autre, sous peine de perdre les lecteurs en route. »
– Jean Dumas, auteur de Séduire par les mots.
Si le contenu multiple d’une page Web peut être, comme celui d’un quotidien imprimé, une source de distraction par rapport à un texte que l’on y lit, il n’en faut pas moins créer des points de variété à l’intérieur d’un même texte Internet d’une certaine étendue. N’oublions pas qu’Internet offre des conditions de lecture moins bonnes que pour un imprimé. On doit donc retenir l’attention des internautes en offrant du changement, qui permet en même temps une pause bienvenue au cours de la lecture.
Il existe plusieurs moyens d’interrompre la chaîne des paragraphes: encadrés, photos ou visuels en lien direct avec le texte (et non des images purement «décoratives», sans lien pertinent avec le contenu textuel, qui seront vues comme des éléments inutiles et maladroits), légendes sous ces visuels, exergues, mots ou phrases en gras (pas de soulignement, qui est réservé aux hyperliens) ainsi que titres et sous-titres. Jakob Nielsen nomme tous ces éléments des microcontenus, qui donnent accès au macrocontenu, soit au corps du texte.
8.1 Pour des titres et sous-titres efficaces
Ces éléments sont les plus importants pour l’internaute qui découvre un texte Web. En pub imprimée, il est prouvé que les titres sont 5 fois plus lus que les textes qu’ils présentent. Pour vos textes Internet, et qu’il s’agisse ou non de publicités, tenez compte de cette réalité, qui y est encore plus importante. En effet, comme l’internaute qui navigue est en mode recherche et souvent pressé, des titres bien conçus lui permettent de s’orienter rapidement. Les meilleurs titres ou sous-titre Web obéissent aux trois règles suivantes:
la transmission sans ambiguïté et dynamique du contenu principal du texte. Là encore, on doit éviter les astuces que sont les jeux de mot, l’humour, le mystère, etc. L’internaute n’a pas la patience d’un lecteur de romans! Un bon titre de texte Web dit clairement ce qu’on trouvera dans le texte qui le suit. De plus, il est incitatif, donc pas vide, en annonçant seulement un champ ou une catégorie (ex.: «Notre budget 2015»), mais plein, en donnant un message complet («Notre budget 2015 est réduit de 8 %»), dont l’internaute souhaitera connaître les détails en lisant le texte. Une question peut aussi faire l’affaire («Pourquoi nous devons réduire notre budget»), à condition de ne pas abuser du mode interrogatif dans les titres et sous-titres;
la brièveté, mais pas au détriment de la première règle. S’il vous faut un titre long pour être clair, n’hésitez pas à l’employer;
le fait de contenir un ou plusieurs mots clés propres au site et au domaine d’activités, mais pas au détriment des deux premières règles. Les moteurs de recherche utilisent les titres pour indexer les contenus, d’où l’importance d’y inclure des mots clés.
Règle 9 : Donnez du contenu utile et gratuit
«La création de trafic qualifié via la rédaction d’articles est un procédé qui remonte au début d’Internet. La diffusion d’articles Web est quasiment gratuite (si vous écrivez les articles vous-même), et permet de créer un climat de confiance, d’attirer les visiteurs, voire de les influencer alors même qu’ils sont en train de prendre une décision d’achat.» Pascal Gilbert.
Le Web s’est développé dans la gratuité, qui constitue l’un de ses principes fondateurs et intérêts. Voilà pourquoi, au fur et à mesure qu’a évolué la grande toile, on a vu les premières infolettres, d’abord payantes, devenir gratuites, comme bien d’autres publications en ligne ou fonctionnalités pour les cybervisiteurs. C’est là une réalité qu’il ne faut jamais perdre de vue.
En fait, face à un site offrant certaines options payantes, les internautes qui pourraient s’y intéresser n’ont qu’une idée : tenter de trouver des versions équivalentes et sans frais ailleurs, sur le Web qu’ils savent immense et plein de gratuités… Ils fuient donc le site en question. Les experts de l’ergonomie Web sont unanimes à défendre ce principe, comme Chris Anderson: «Quand vous baissez la barrière d’entrée (sur le Web) à presque rien, vous augmentez énormément le nombre de personnes qui vont y participer.»
Mais il ne suffit pas de rendre les contenus libres d’accès; ceux-ci doivent être généreux et utiles pour l’internaute. Si votre site n’est qu’une «brochure en ligne» d’entreprise, pourquoi les visiteurs y reviendraient? Lisez-vous souvent deux fois le même dépliant? Ajoutez de la valeur ajoutée: de l’information intéressante, liée à votre secteur d’activités; des statistiques; des conseils; des témoignages; une foire aux questions; un blogue.
Vous pouvez aussi écrire des articles en lien avec votre domaine d’activités, que vous archiverez sur votre place Web tout en vous efforçant de les faire diffuser ailleurs, sur Internet, et notamment par des cyberpublications spécialisées, que vos propos pourraient intéresser. C’est la meilleure façon de voir votre expertise se propager ensuite sur le Web, reprise alors par d’autres éditeurs de tels contenus.
Dans ce cas, attention : vos articles doivent donner de l’info vraiment utile au lecteur. Si vous tentez de déguiser des «pitchs» de vente en chroniques, vous n’aurez aucune chance d’obtenir cet effet viral, car votre texte n’ira pas plus loin que votre propre site. De plus, ils doivent être rédigés dans les règles de l’art de l’écriture journalistique.
Enfin, n’oubliez pas de renouveler régulièrement cette information utile. Liriez-vous plus d’une fois le même journal? Plus vous changerez vos contenus « généreux et gratuits », plus vous maximiserez vos chances de faire revenir les internautes sur votre site. Pour fidéliser l’internaute à ce contenant qu’est un site Web, donnez-lui du contenu varié et de qualité.
Règle 10 : Visez l’interactivité
«On peut définir l’interactivité comme l’implication de l’utilisateur dans un processus. Dans une approche interactive, l’utilisateur est un acteur et le contenu ne vient à lui que s’il le sollicite. L’interactivité suppose une implication, voire un travail/effort fourni. C’est ce travail qui va entraîner la récompense: la satisfaction, le savoir, le plaisir. L’interactivité suppose une certaine durée durant laquelle il faudra maintenir l’attention, la curiosité. Chaque nouveau parcours est une expérience.» Bernard-Paul Eminet
Une autre caractéristique fondamentale d’Internet est bien sûr son interactivité. De plus en plus, l’internaute ne veut pas seulement regarder, lire ou écouter des sites; il veut participer au processus, en s’amusant, en donnant son avis ou en agissant d’autres façons sur les places Web. Et l’avantage commercial de ces pratiques est évident: plus les cybervisiteurs sont actifs sur un site, plus ils accepteront volontiers d’y faire une transaction. On comprend donc la popularité croissante des questionnaires, blogues, forums, outils d’essai en ligne, concours et jeux sur le Net, etc.
Ces moyens permettent d’appliquer les principes du Web axé sur l’échange communautaire. Il y a cependant plusieurs pièges à éviter ainsi que des préalables. Par exemple, si vous incitez l’internaute à vous faire des commentaires, est-ce que vous acceptez la critique négative et êtes capable de bien réagir? Et, d’abord, est-ce que vous comptez réagir ou commettrez l’erreur de demeurer silencieux aux courriels de commentaires que vous recevrez? Si vous y répondez, le ferez-vous de manière diligente et de façon à respecter le point de vue de vos interlocuteurs?
Autres erreurs possibles, et qui affectent la crédibilité: les hyperliens qui ne mènent nulle part ou à un message du genre «Désolé: page inexistante» ou à des coordonnées incomplètes à la page Nous joindre. Personnellement, je ne ferai jamais des affaires en ligne avec une entreprise qui n’annonce qu’une boîte postale ou un courriel, sans numéro de téléphone, ni adresse sur une rue et dans une ville précises.
En terminant, je mentionne ces oublis encore fréquents et incompréhensibles: non seulement de ne pas inviter les internautes à communiquer avec l’entreprise, mais de ne fournir aucunes coordonnées, pas même un courriel!