L’IA en recrutement : fantastique, cacophonique ou simplement… terrifiante ? – Échos de Trumontréal 2025

23 octobre 2025
S’il était encore possible, il y a quelques années, d’évoquer le recrutement sans parler d’intelligence artificielle, cette réalité a complètement volé en morceaux aujourd’hui. Retour sur la 14e édition de Trumontreal, la « non-conférence » sur le recrutement qui s’est déroulée le 22 octobre dernier au Campus Layola de l’université Concordia – et dont Isarta était partenaire, où les discussions ont été largement dominées par l’IA.
En ouverture de la journée, Sandrine Théard, organisatrice et fondatrice de l’événement, a demandé à un auditoire souriant, café et croissant en main, comment chacun et chacune vivait l’arrivée de l’IA dans leur métier. Un participant a répondu spontanément « C’est formidable… », sur un ton qui semblait vaguement ironique, mais qui finalement, après vérification, était sincère.
Ce à quoi Sandrine Théard a répondu :
Nous vivons à une époque formidable, mais c’est aussi très cacophonique. Pour moi, il y a cette idée de responsabilité, de responsabilisation – la question n’est plus de savoir si on fait de l’IA ou non, c’est comment on le fait. En tant que recruteur, on a un rôle à jouer sur le ‘comment on le fait’. Nous avons un rôle à jouer dans la gestion des compétences. Les repères de performance deviennent vraiment très flous. »
Le ton était donné pour la journée avec plusieurs discussions sur l’IA : est-ce la fin du CV ?, «L’entrevue est-elle encore nécessaire ?», est-ce la fin du métier de recrutement ? etc. Avec une majorité de recruteurs enthousiastes (« l’A n’est pas là pour nous remplacer, mais pour nous permettre de faire un travail de meilleure qualité ») qui ont expliqué leur usage de l’IA générative pour structurer ou retranscrire des entrevues ou faire de la prospection de candidats par compétences.

Confier son choix à… ChaGPT !
Les nouveaux outils [de transcriptions et de prise de notes pilotées par l’IA] nous permettent d’être plus présents avec les candidats. J’ai trouvé plus d’humanité avec ces nouveaux outils que j’en avais avant, quand j’étais tout le temps en train de regarder mes notes », a fait valoir une recruteuse senior, propriétaire d’une agence, lors de l’atelier « Discussion agences et chasseur de têtes: l’IA va-t-elle nous manger tout cru ? »
Bémol toutefois : durant l’évènement, les pro-IA semblaient peu réceptifs lorsque des participants inquiets relevaient les défis que posent l’IA dans leur secteur. Un recruteur est venu raconter qu’un de ses clients lui avait avoué avoir choisi le candidat convoqué en entrevue (parmi une vingtaine de CV présélectionnés par l’agence) en confiant le choix à ChatGPT… sans autres démarches !
Un autre recruteur s’est interrogé sur la confidentialité des propos tenus en entrevue (certains candidats révèlent des secrets d’entreprise de leur ancien employeur) lorsqu’un chasseur de tête utilise une application de transcription qui envoie les données en dehors du système de l’entreprise.
Est-ce qu’il n’y a pas la possibilité que ces informations deviennent publiques et portent préjudice à l’entreprise dans le futur? »
D’autres, encore, se sont demandés s’il n’y avait pas un risque que les nouveaux recruteurs utilisent les outils d’IA, sans comprendre ni apprendre les rudiments du métier derrière.
J’ai l’impression que l’IA va remplacer beaucoup de rôles occupés par des juniors. Le rôle du recruteur junior va certainement évoluer à travers tout cela », a dit une participante.
Visions du futur
Parmi les conversations qui n’ont pas touché à l’IA, notons celle de Diane Massé et Sarah Dufresne – titrée «Recrutement inbound et l’art de nourrir ses talents». Les recruteuses se sont demandées comment entretenir son réseau de candidats. En gardant contact avec eux, bien sûr. Mais aussi, et c’est là que la conversation est devenue intéressante : en réfléchissant à la valeur qu’on leur apporte, lors de ces brèves relances.
Quand je fais un entretien de 45 minutes avec un candidat potentiel, je réserve toujours 20 minutes à la fin pour leur donner une rétroaction ; vous m’avez consacré du temps, je vais vous consacrer du temps moi aussi », a expliqué le coach et recruteur Laurent Cebarec.

En milieu d’avant-midi, la discussion animée par Charles Parent a donné cours à des échanges particulièrement animé sur le futur du travail. Le directeur de l’expérience client de Sourcinc a invité l’auditoire à se prononcer sur dix changements radicaux qui risquent de survenir d’ici 2030 dans le marché du travail.
Le premier : comment gérer une équipe quand des employés ont des capacités augmentées – est-ce qu’on discrimine un employé s’il a un exosquelette moins performant ou refuse de se faire implanter une puce Neurolink?
On voit maintenant en Chine puis en Silicon Valley un phénomène comme le 996, où tu travailles de 9h à 9h, 6 jours par semaine. Oui, il y a des entreprises qui croient en la valeur d’avoir de vrais humains, il y en a d’autres qui sont 100% productivité – il va y avoir un clash à ce niveau. »
Après avoir parlé de «gig economy» (« serons-nous éventuellement tous des travailleurs autonomes »), des « influences de carrière » qui pourraient gagner une place en recrutement, du déclin des universités comme vivier de talents (« car elles ne parviennent pas à suivre l’évolution de la technologie ») et d’une nouvelle compétence à développer (« savoir gérer des robots »), Charles Parent a bouclé ce voyage dans le futur en expliquant que la « superintelligence » allait être en mesure d’accomplir 95% des emplois… mieux qu’un humain.
Le 5% relèvera du fétichisme : il va y avoir des gens très fortunés qui, par nostalgie, vont dire : moi, j’aimerais ça travailler avec un humain. »
Ça donne froid dans le dos! La plénière a fait réagir les uns et les autres – incluant l’auteur de ses lignes, qui est intervenu plus souvent qu’il n’aurait dû, et bien que la conversation ait fini par s’éloigner du recrutement, tout le monde est resté engagé jusqu’à la fin.
Trumontréal 2025 a eu tous les ingrédients d’un événement réussi : anecdotes et insight d’industries, vue des coulisses sur l’adoption de l’IA en recrutement, débats animés mais toujours respectueux, et finalement, un engagement renouvelé à améliorer la pratique du recrutement, sans enlever l’humain de l’équation. Pour le moment?
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