Sept conseils pour concevoir une bonne publicité sociale – Partie 2/2
Par Pascal Pelletier
[Retrouvez la première partie de l’article ici]
3. Si vous jouez la carte de la peur, faites-le prudemment
Baser une annonce sur la peur, et même la terreur, ou la violence est une approche fréquente en publicité sociale, et notamment lorsqu’il s’agit de santé ou d’accidents de la route. Mais est-ce efficace? La question est au centre d’un gigantesque et long débat, toujours en cours, entre spécialistes de la publicité. Il y a les partisans du pour, ceux du contre et des dizaines d’études sur la question qui se contredisent les unes les autres.
Je n’aurai pas la prétention de trancher ici cette polémique. Si celle-ci vous intéresse, je vous invite à lire le texte de Claude Cossette, « La peur, la publicité et la communication publique : un questionnement éthique ».
Résumons tout de même le débat. Pour les uns, la publicité sociale axée sur un concept de peur attire puissamment l’attention. Pour les autres, cette attention ne se traduit pas nécessairement par l’adoption du comportement souhaité, et, si cette peur est insoutenable pour certaines personnes, celles-ci ne voudront prêter aucune attention au message.
Une annonce sociale trop terrorisante créerait donc des attitudes d’évitement – c’est le cas pour de nombreux fumeurs qui s’efforcent de ne jamais regarder les affreuses images des effets du tabac sur les paquets de cigarettes –, ou même de déni – le problème dont on me parle n’existe pas ou ne me concerne pas –, ou encore de minimisation de la menace.
Le problème dont on me parle ne me concerne pas… Parions que c’est ce que se disent bien des jeunes, même si c’est de façon plus ou moins consciente, face aux annonces d’horribles accidents de la route, conçues pour inciter à conduire prudemment et dans le respect des limites de vitesse. Parlons franchement : pour la plupart des jeunes de moins de 20 ans, la mort, la maladie ou la mutilation sont des abstractions. Allons, rien de tout cela ne peut leur arriver…
Or, face à des publicités violentes, bon nombre d’adultes ont la même attitude de déni – d’où le fait que beaucoup de gens se fermeront à ces annonces, comme si celles-ci provoquaient automatiquement une perte d’auditoire. Cela étant dit, on continuera sans doute de recourir à la peur en publicité sociale. Le seul conseil que je veux vous donner à ce sujet, et je crois, après avoir lu La Publicité sociale, que M. Cossette serait d’accord, est de styliser et de symboliser la peur, comme on a pu le voir récemment dans les deux annonces télé suivantes.
Premier exemple. Un homme fatigué au volant, ses yeux tendent à se fermer, il les tient ouverts à grand-peine. Changement de plan : le même homme au même volant, immobile, les yeux bien ouverts cette fois, puis une main gantée les ferme, celle d’un policier qu’on voit ensuite en train d’observer la scène de l’accident. L’automobiliste est mort : endormi, il a percuté violemment un arbre, et l’accident n’a pas modifié la position du conducteur épuisé dans sa voiture, d’où la surprise pour le téléspectateur de découvrir, au changement de plan, que cet homme n’est plus en vie. Ne conduisez pas votre véhicule quand vous êtes fatigué…
Voilà le symbole et la stylisation : ne pas montrer la scène violente de l’accident au téléspectateur, mais seulement celle, éloquente, de la main gantée qui ferme les yeux du cadavre. Chapeau! Moi, ça me plaît et m’interpelle.
Second exemple : un enfant en maillot de bain sort de la maison et plonge dans la piscine familiale. Il ne reparaît pas, on n’entend rien. La caméra s’approche de la piscine et l’on s’attend à découvrir l’enfant noyé. Mais on voit plutôt, flottant sur l’eau, ce genre de silhouette figurant les contours d’un corps humain, que les policiers dessinent à la craie ou délimitent par des bandelettes blanches, sur le sol, pour rappeler à des enquêteurs la place et la position exactes qu’occupait un cadavre…
Surveillez vos enfants quand ils se baignent dans votre piscine. Logo de l’annonceur avec en même temps la voix de la mère qui appelle son fils : « Alex? Alex! », le deuxième appel est plus incisif et inquiet. C’est tout et, à mon avis, ça fait la job…
Ici, on a en fait remplacé une violence, celle de l’enfant en train de se noyer, par une autre, plus subtile et qui ne cesse de nous hanter une fois l’annonce vue : pour la police, votre enfant décédé ne sera qu’un mort de plus, qu’on va ficher comme les autres; mais pour vous, sa mère, il représente bien davantage, n’est-ce pas? Alors où étiez-vous au moment où il a plongé dans l’eau? On fait vibrer la culpabilité, mais discrètement.
4. Méfiez-vous de l’humour, mais soyez agréable et optimiste
J’ai indiqué plus haut que l’humour est rare en publicité sociale, et il y a au moins deux raisons évidentes à cela. D’abord, bon nombre des comportements que cette publicité veut promouvoir n’ont rien d’amusant ni de risible. Pourriez-vous concevoir une annonce désopilante sur le thème de prendre-le-volant-quand-vous-êtes-fatigué-peut-vous-tuer?
Je ne dis pas qu’il s’agit d’une mission impossible, mais est-elle souhaitable? La réponse tient à la deuxième raison : le fait qu’une majorité de citoyens adoptent tel ou tel comportement est un enjeu sérieux pour la société, donc il est difficile d’en rire.
J’ai parlé aussi de l’annonce, réussie à mon avis, de l’agente de bord qui devient agressive auprès des voyageurs parce qu’elle a envie de fumer. Voici un autre exemple de publicité sociale humoristique qu’on a pu voir aussi à la télévision : « Je vais vous montrer comment fabriquer un banc de parc avec un petit pot de fromage à la crème : voilà! » Et l’homme jette le pot dans un bac à recyclage. Suit la mention qu’avec tant de ces petits pots vides, on pourrait construire tant de bancs de parcs.
Le seul reproche que je peux faire à cette annonce est qu’elle nous maintient dans la culture des « petits gestes », des « un petit pot de fromage à la crème à la fois », tout à fait insuffisante pour régler nos problèmes environnementaux. Mais cela est un tout autre débat,.
À l’humour, on préfère souvent donner aux publicités sociales une forme agréable et optimiste, ce que fait bien cette annonce des bancs de parcs fabriqués à partir de pots de fromage. Autre exemple : l’annonce des jeunes femmes disant qu’elles n’ont « vraiment pas besoin de ça, une auto », alors qu’elles se dirigent vers une voiture de Communauto, ce service de prêt communautaire de véhicules automobiles.
C’est par des formes agréables et optimistes, et aussi par la tendresse, que l’on fait mieux passer la privation, la menace, les efforts à consentir. On peut aussi profiter de l’occasion pour rappeler à la cible qu’elle n’est pas seule, que le mouvement en faveur du comportement à adopter est collectif.
5. Mettez en scène des personnes crédibles
La publicité sociale met généralement en scène une ou plusieurs personnes, et celles-ci doivent être crédibles. Il peut s’agir de victimes ayant subi le comportement opposé à celui qu’on préconise, comme un enfant cancéreux à cause de la fumée secondaire de fumeurs, ou, au contraire, de personnes qui ont adopté la bonne habitude et dont ils vantent les bénéfices.
On choisit aussi souvent des personnalités ou des responsables de programmes auxquels sont liés les comportements à promouvoir. Enfin, ces personnes peuvent être, bien sûr, des comédiens qui doivent représenter les gens les plus typiques de la population ciblée.
Quelles sont les personnes les plus efficaces pour incarner une cause sociale? D’après l’École de Yale, qui a beaucoup étudié la question, les meilleurs porte-parole sont des personnalités admirées et qui ne peuvent attendre aucune retombée, de quelque nature que ce soit, de leur association au comportement qu’ils acceptent de recommander.
C’est pourquoi Yvon Deschamps, qui est maintenant âgé, a été certainement plus efficace pour dénoncer la maltraitance des aînés que si l’on avait choisi à sa place un psychologue travaillant en pratique privée en gérontologie. Ce dernier aurait eu un intérêt potentiel à cette cause, puisque les publicités sur celle-ci auraient pu lui amener de nouveaux clients.
Enfin, des études ont aussi révélé que les porte-parole issus de groupes de solidarité, d’intérêts sociaux, etc., s’avéraient très performants.
6. Ciblez quand il le faut
« Le message trop vague qui s’adresse à tout le monde ne touche personne. Placarder partout une affiche du genre Vive la sécurité au travail!, c’est jeter l’argent par les fenêtres. » Jean-Pierre Brun, professeur à l’Université Laval.
Il n’est pas nécessaire de segmenter une campagne de publicité sociale en fonction de sous-groupes précis de la population lorsqu’on s’adresse à l’ensemble des citoyens, ce qui est très souvent le cas. Par contre, la segmentation ou, au moins, la reconnaissance de la cible s’impose quand on vise des groupes particuliers : jeunes, femmes, autochtones, personnes âgées, victimes d’une maladie, etc.
Reconnaître la cible consiste alors à la nommer dès le début du message : « Vous êtes âgé de 65 ans ou plus et êtes victimes de maltraitance? Des solutions existent. » C’est se tirer dans le pied qu’omettre ce genre de mention quand elle est nécessaire.
L’exemple le plus poussé et le plus étonnant de ciblage que je connaisse en publicité sociale était le texte d’une affiche que je découvris il y a 15, 20 ans, rue Prince-Arthur à Montréal. Et je dois prévenir mes lecteurs qui seraient chastes et prudes qu’ils auraient intérêt à se rendre au septième conseil sans lire cet exemple, qui, comme on dit au Québec, fesse fort…
De toute évidence, le message s’adressait à des prostituées, à leurs clients ainsi qu’à des jeunes ou à des gens peu scolarisés ne faisant pas partie de l’une des deux premières catégories, mais ayant aussi une vie sexuelle très active. On recommandait donc à toutes ces personnes, nombreuses à vivre dans ce quartier ou à le fréquenter, de se protéger du sida et des autres maladies transmissibles sexuellement, et de la façon suivante : « Si tu fourres, mets une capote pis vient pas dans la bouche à personne. »
Saisissant, non? En tout cas, je n’ai jamais oublié ces mots, qui résonnent comme un cri de désespoir de professionnels de la santé qui n’auraient pas réussi, avant cette affiche, à se faire comprendre autrement. Car, non, il ne s’agissait pas d’un graffiti, même si le texte en a le style, mais bien d’une affiche imprimée, financée par une clinique ou un groupe social dont j’ai malheureusement oublié le nom.
7. Employez des mots simples et profondément humains
Le fait d’employer de tels mots est un clou que je ne cesse d’enfoncer dans mes chroniques : utilisez les mots dans les 3 C – courts, concrets, connus –, les 12 mots les plus persuasifs en pub d’après l’Université Yale, ceux qui réfèrent à l’instinct de conservation ou à des moments forts de la vie, les 273 mots d’affection et d’amour, etc.
C’est pourquoi, et pour ne pas allonger ce texte, je n’en parlerai pas ici. Toutefois, si vous n’avez jamais reçu mes listes de mots à privilégier et de ceux à éviter en rédaction de textes publicitaires ou de relations publiques, je serai heureux de vous les envoyer si vous me les demandez à p.pelletier@stylo-pub.com.