Vives réactions des marketeurs face au reportage de La Presse sur les faux influenceurs
20 juin 2019
C’est LE reportage dont tout le monde parle chez les acteurs du marketing d’influence et de la publicité numérique au Québec. La Presse a publié la semaine passée le résultat troublant d’une enquête de plusieurs mois sur l’envers du décor des influenceurs. Voici quelques unes des réactions du milieu.
Qu’on se le tienne pour dit, les influenceurs d’ici et d’ailleurs sont en ce moment sous la loupe des journalistes. Le reporter néerlandais Nicolaas Veul a révélé combien il est facile d’acheter des abonnés et même des likes sur Instagram, dans un fascinant documentaire à voir ici.
Au Québec, c’est la journaliste Émilie Bilodeau, de La Presse, qui a fait cette démonstration à travers un reportage-choc («Comment devenir influenceuse (en trichant)», publié la semaine passée.
Même si les chiffres de la pratique sont en croissance continue (on parle d’un marché qui devrait atteindre les 10 milliards $ US en 2020), on sent bien une volonté de plus en plus forte de mieux l’encadrer. Comme l’illustre la création récente d’une nouvelle cellule de concertation sur le sujet.
Rappelons déjà que les Normes de la publicité avaient publié l’an passé un guide avec des grandes lignes directrices sur la divulgation du lien entre un(e) influenceur(euse) et une marque. Voici en tout cas les réactions des professionnels de l’industrie.
Les fleurs
Disons-le d’emblée, de nombreux marketeurs et influenceurs se sont réjouis du reportage, puisqu’il expose, en fin de compte, une culture du vanity metrics (où le nombre d’abonnés priment sur la qualité des contenus) qui en agacent plusieurs.
Honnêtement, je suis heureuse de cet article, dit Jennifer Doré Dallas, blogueuse et cofondatrice d’une agence de marketing d’influence en tourisme, Voyage numériQC. Je ne pense pas que ça heurte le marketing d’influence bien fait, ça fait plutôt mal à ceux qui le bâclent ou le font maladroitement. Ça montre aux clients que le travail de filtration vaut quelque chose, que les conséquences sont vraies. On le dit depuis des années… Or, maintenant que ça vient de La Presse, les gens sont à l’écoute, alors c’est tant mieux! »
Ça confirme aussi ce qu’on dit aux Offices de tourisme et aux marques, à savoir que les maudits outils ne peuvent pas tout détecter et qu’il n’y a pas de solution rapide et parfaite. Quand tu travailles bien en marketing d’influence, je pense que ce texte est un soulagement, un « enfin »! »
Même enthousiasme chez Marc-André Hallé, conseiller marketing numérique :
Je trouve la démarche géniale! Elle confirme l’existence de la pratique au Québec, alors qu’elle est déjà répandue ailleurs au pays et dans le monde. C’est aussi un signal fort pour nous tous, qui engageons des influenceurs, de faire plusieurs vérifications manuelles avant d’embaucher quelqu’un. La nature de notre travail est d’aller vite, mais il faut savoir quand ralentir pour avoir de bons résultats!»
Les outils automatisés ont clairement une limite et malheureusement, des gens que j’apprécie et que je respecte énormément en ont fait les frais dans cet article. J’espère seulement que leur réputation n’en souffrira pas trop. »
Des mises au point
Dans son article, Émilie Bilodeau a effectivement pris en défaut quelques agences, qui se sont laissées berner par une influenceuse du nom de “Pretty Runner”, créée de toutes pièces en quelques semaines.
Interpellées par la question, d’autres agences de marketing, qui n’étaient d’aucune façon citées dans l’article, ont tout de même voulu mettre l’histoire en perspective.
De tout temps, il y a eu de véritables pilotes d’avion et des faussaires, de véritables infirmières et des fumistes – l’actualité récente en a fait état – et des tricheurs dans tous les domaines. Et il y en aura toujours», a expliqué Caroline Cormier, cofondatrice de Plik.co, une base de données d’influenceurs canadiens, dans un article LinkedIn intitulé “Influenceurs, des tricheurs?”
Comme d’autres, la marketeuse modère elle aussi les attentes par rapport aux outils de mesure des faux profils:
Malgré mes recherches continuelles à travers le monde, je ne connais pas d’outil absolument parfait pour détecter et dénoncer les tricheurs – pas plus qu’il n’existe de systèmes de sécurité à l’abri de toute faille dans les aéroports et les sites internet. Sinon, soyez assurés que cet outil dominerait le marché international ! Il n’existe pas non plus de plateforme automatisée à 100 % qui procure des résultats de qualité à 100 % – l’intelligence artificielle n’en est pas encore là.»
Par conséquent, Caroline Cormier préfère miser sur le fit des personnalités des influenceurs plutôt que sur les «vanity metrics» :
Notre hypothèse de départ a été confirmée 1001 fois : dans les campagnes de communication marketing, ce sont rarement les influenceurs vedettes qui sont les meilleurs ambassadeurs d’une marque ou d’une cause. Ce sont souvent des gens de tous les âges et milieux qui épousent les valeurs recherchées.»
Edouard Reinach, consultant stratégie de transformation numérique chez Adviso, rappelle pour sa part la pertinence toute relative du nombre d’abonnés, dans un article publié sur le site d’Adviso (“Marketing d’influence : il n’y pas de recette magique”) :
Le premier enjeu concerne […] l’achat massif de followers qui sont généralement de faux comptes ou encore l’achat de commentaires. Plusieurs entreprises québécoises ont déjà fait les manchettes pour avoir eu recours à ce genre de pratiques. Vanity metric par excellence, le nombre d’abonnés à un compte social est une manière d’envoyer le signal à l’internaute sans méfiance que le compte suscite de l’intérêt.»
[…] Cette pratique ne devrait être considérée que comme une donnée très accessoire lors de tout exercice d’évaluation de comptes sur les réseaux sociaux. L’important restera toujours de regarder le taux d’engagement de ces comptes pour évaluer la pertinence d’une association ainsi que la courbe de progression de leurs abonnés afin d’évaluer la crédibilité de cette audience.»
Toutefois, le conseiller d’Adviso ne voit pas nécessairement de problème avec une autre pratique évoquée dans l’article, soit l’automatisation des demandes d’abonnement. Parce qu’il est de pratique courante, en marketing, de s’abonner à un compte d’un utilisateur X, dans l’espoir d’attirer son attention sur son propre compte (d’entreprise ou d’influenceur).
Si Instagram sanctionne cette pratique, c’est avant tout parce qu’elle entre en conflit avec son offre publicitaire. Cependant, faite dans le respect des règles des plateformes et avec un brin d’intelligence, cette pratique représente un intérêt non négligeable dans le développement d’une audience de marque au même titre que l’achat d’espace média.»
Et s’il est normal de se questionner sur l’aspect moral de se désabonner d’un compte quelques heures seulement après avoir envoyé le signal qu’on le suivait, notons que tous les scripts automatisant ces interactions ne font pas ça et que cette pratique est fortement influencée par la limite de 7 500 abonnés d’un compte Instagram.»
La responsabilité d’Instagram
Il n’y a pas que les agences de marketing qui ont été égratignées par l’enquête de La Presse, Instagram en prend également pour son rhume. Le stratège numérique François Jacob souligne avec raison la responsabilité du média social :
Ce qui me questionne le plus dans cette histoire, c’est la réaction d’Instagram qui ne fait rien pour contrôler le phénomène (qui lui est financièrement bénéfique, on s’entend). Tu peux pas avoir plus de 15 000 abonnés du jour au lendemain, en provenance de pays externes, sans que ça soulève un drapeau. Ils ont moyen de savoir ça, et ils ne font rien. Le plus ironique de l’affaires, c’est que le compte n’est même pas suspendu après qu’ils ont eux-mêmes signalé leur démarche à Instagram!»
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