Point de presse quotidien de François Legault : les recettes d’une bonne communication de crise
Par Kévin Deniau
21 avril 2020
C’est devenu un rituel. Tous les jours à 13h, le premier ministre François Legault, accompagné de Danielle McCann, ministre de la Santé et des Services sociaux et du Dr Horracio Arruda, le Directeur national de la santé publique, tient un point de presse concernant l’évolution de la Covid-19 au Québec. Décryptage de cet exercice de communication de crise avec Jean Gosselin, PRP, ARP Stratège en communication corporative.
Pour ce dernier, ce point de presse lié à la COVID-19 va remplacer celui qui avait lieu lors de la crise du verglas, en janvier 1998 (animé par le mentor de François Legault, Lucien Bouchard), dans les cas pratiques d’apprentissage de la gestion de crise.
La situation est très différente aujourd’hui car cela touche tout le monde et très très longtemps, » explique le communicateur.
Cet exercice de communication de crise est en effet un bon cas d’école pour tous ceux qui s’intéressent à ce sujet. Regardons les différents faits saillants à retenir sur la forme (et laissons le fond aux observateurs politiques).
Une communication en phases
Jean Gosselin distingue déjà deux phases :
- La première fut la mise en lumière progressive des mesures sanitaires et de confinement. Une des expressions à retenir de cette phase est évidemment « la mise du Québec sur pause ».
L’objectif ici était d’éviter la panique et que cela se fasse de manière ordonnée. Et ils y sont bien arrivés. »
- La deuxième est celle que nous vivons depuis une dizaine de jours, une fois atteint un rythme de croisière, autrement dit la gestion de la crise.
Le ton a changé, le regard se tourne vers d’autres préoccupations. Le public découvre d’ailleurs à cette occasion comment se déroule des points de presse avec des journalistes pointilleux. »
Une organisation visuelle et pratique
Alors que la plupart des chefs de gouvernement opte pour le format debout derrière un pupitre, le communication du Québec, elle, se fait assise, derrière une table.
Je pense qu’il s’agit plus d’une question pratique que stratégique, confie Jean Gosselin. Cela permet de mieux retrouver ses dossier et ses feuilles. Cela montre aussi que les gens sont au travail. »
Cette présentation offre aussi un avantage d’un point de vue de l’image et de la diffusion du message.
Ils ont côte à côte et peuvent donc intervenir plus facilement que s’il étaient debout et qu’ils devaient avancer ou reculer en fonction de la prise de parole de chacun. Cela permet une meilleure fluidité et une meilleure interaction. »
Par ailleurs, cela donne un sentiment de travail en équipe.
C’est la grande différence avec Ottawa ou M. Trudeau, au départ pour des raisons de confinement lié à son épouse, est devant sa résidence et en mode monologue. Après, ses ministres, sur le modèle du Québec, se présentent ensemble mais cela est moins visible aux yeux de l’opinion. »
Une diffusion à grande échelle
Les conférences de presse de François Legault, diffusées simultanément à TVA, Radio-Canada, LCN, RDI ainsi que sur Facebook… sont devenues les émissions les plus regardées de l’année. Celle du dimanche 5 avril dernier a ainsi été regardée par 2 735 000 téléspectateurs, soit devant La Voix ou District 31, qui affichent des moyennes respectives de 2 090 000 et 1 808 000 télespectateurs !
Entre 13h et 13h30, l’audience des 4 chaînes représentent… 84,6 % de l’auditoire cumulé (l’an dernier, pour donner une comparaison, ce chiffre était de 42 % sur ce créneau horaire). Autant dire que ce point presse est devenu LE rituel des Québécois durant le confinement.
Un succès d’audience qui a un grand avantage d’un point de vue de la communication selon Jean Gosselin :
C’est un discours à la nation chaque jour. Les téléspectateurs sont aux premières loges, ce qui donne toute son efficacité au message. Le message du Premier Ministre passe directement et cela ajoute de la crédibilité et de l’impact au message. »
Des personnalités complémentaires
Sur ce point, Jean Gosselin indique une part de chance :
Les acteurs ont été choisis à cause de leur fonction donc c’est un peu chanceux de tomber sur ces personnalités qui se complètent aussi bien et dont la combinaison donne une impression rassurante. Il y a une forme de cohésion naturelle. »
Même si le communicateur ajoute que chacun joue un rôle précis malgré tout :
Ils ont chacun une bonne capacité de communication et les rôles ont été campés au début. Mme McCann toujours été plus technique et professorale, le Dr Arruda est plus imagé, pédagogue. »
Ce dernier est en effet une révélation médiatique pour le Québec, autant pour son discours explicatif que ses fameuses anecdotes sur les tartelettes portugaises, le jambon à l’ananas ou l’aplatissement de la courbe.
S’il est moins présent aujourd’hui, c’est que l’enjeu est plus politique ces derniers temps avec la révélation des failles du système. Mais Jean Gosselin pense qu’il va revenir sur le devant de la scène à l’occasion de la prochaine phase sur la stratégie de déconfinement.
La force du trio tient à ce que chacun a gardé malgré tout sa personnalité dans cet exercice :
Ils transmettent leurs émotions et n’ont pas changé de ligne au cours de leur carrière. Du côté d’Ottawa, M. Trudeau campe plus son rôle de chef de l’État et reste peu démonstratif sur ses émotions. Encore une fois, il est dans son rôle mais c’est plus difficile de convaincre. »
L’usage risqué de l’humour en communication de crise
Le 7 avril dernier, le Premier Ministre a tenté une petite dose d’humour avec la fameuse histoire de la fée des dents, ajoutée à la liste des services essentiels.
L’humour peut très bien fonctionner ou causer beaucoup de problèmes en communication de crise. C’est une question de dosage et de moment opportun, assure Jean Gosselin. Ici, cela donne une image emphatique et sympathique. On était déjà habitué à cela avec M.Legault qui a toujours eu ce côté sourire en coin, qui parfois lui a desservi d’ailleurs. »
Pour lui, cela donne une petite dose d’air frais et permet de dédramatiser la situation :
Si le gouvernement peut se permettre une petite joke, on se dit tant mieux. Mais si cela avait été le jour où l’on annonçait une mauvaise nouvelle, cela n’aurait pas été bon. D’ailleurs, tant que cela n’ira pas mieux dans les CHSLD, je serais très surpris qu’on ait des passes d’humour. Il faut toujours éviter en communication de crise le « Mais pourquoi ? ». Mais pourquoi ils font ça ou disent ça ? »
Le mea Culpa : « un tournant »
Le vendredi 17 avril dernier marque un moment marquant et charnière pour Jean Gosselin d’un point de vue de la communication : le Premier Ministre a fait son mea culpa.
Une technique politique habile pour Jean Gosselin :
Cela fait plusieurs jours que le sujet de la crise dans les CHSLD prend de l’ampleur. Les conférences de presse ressemblaient de plus en plus à celles de Claude Julien du Canadien : chaque jour on revient sur le même sujet et on pose des questions auxquelles il n’a pas forcément la réponse. C’est ici une façon d’enlever la pression sur le sujet et d’assécher un peu les questions pour la suite. Cela n’a toutefois pas eu tout l’effet escompté car le dossier des CHSLD comporte plusieurs rebondissements et les rebondissements, c’est justement ce que l’on cherche à éviter en gestion de crise. »
Un point important à noter d’ailleurs ici :
La gestion de crise, ce n’est pas forcément un exercice de transparence. C’est dire ce que les gens ont à savoir mais on ne peut pas tout dire. »
Bilan ?
Selon l’expert, la communication de crise du gouvernement n’est pas un sans faute, mais comporte plusieurs bonnes pratiques :
C’est bien géré globalement. Il est important de faire circuler l’information, de montrer qu’il y a des gens en action et en contrôle et surtout de garder la confiance de la société. »
Selon un sondage Léger publié le 14 avril dernier, 95 % des Québécois interrogés considèrent que M. Legault fait un bon travail. Le plus haut taux de satisfaction parmi toutes les provinces… sachant que le Québec est pourtant la plus affectée par la pandémie.
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