Élections fédérales : Ce que l’on apprend grâce à la nouvelle transparence des publicités sur Facebook
Par Kévin Deniau
25 octobre 2019
Facebook a donné accès pour la première fois à une bibliothèque des publicités politiques financés sur sa plateforme, en amont des élections fédérales. Nous avons plongé dedans. Et voici ce que nous avons découvert.
C’est un des effets concrets de l’affaire Cambridge Analytica qui a secoué durement, l’an passé, le réseau social de Mark Zuckerberg. Accusé alors d’avoir aidé à influencer des campagnes électorales, notamment américaines, et donc de représenter une menace pour la démocratie, Facebook a pris quelques mesures pour garantir une plus grande transparence des publicités politiques – même si cela reste loin d’être suffisant comme l’illustre l’exemple récent des publicités mensongères de Donald Trump.
En préparation des élections majeures dans le monde cette année, nous continuons à poursuivre nos objectifs d’empêcher les interférences étrangères et de donner aux gens plus d’informations sur les publicités qu’ils voient sur nos plateformes », avait déclaré Facebook sur son blogue il y a quelques semaines.
Traduction : le réseau aux plus de 2,4 milliards d’utilisateurs actifs par mois a instauré plus de transparence pour les publicités politiques : leurs auteurs doivent en effet indiquer leur identité et le lieu où ils se trouvent avant de pouvoir les mettre en ligne. Par ailleurs, une bibliothèque numérique des publicités politiques (comprenant leurs auteurs ou les budgets associés) a été mise en place et est accessible à tout le monde.
Cette dernière est à cette heure disponible notamment au Brésil, en Inde, dans les pays de l’Union Européenne, aux États-Unis et au Canada, depuis juin dernier (vous pouvez retrouver ici les spécifications propres aux annonceurs canadiens en la matière). Pour la première fois, il est donc possible de consulter librement et facilement l’ensemble des publicités politiques lors d’une élection fédérale au Canada. Les informations sont ici.
Que pouvons-nous y découvrir ?
Quel parti dépense le plus ?
La Presse n’a pas manqué de regarder les sommes engagés par chaque candidat et parti. Ainsi, du 24 septembre au 23 octobre 2019, soit dans ces 30 derniers jours, c’est le parti libéral (PLC) qui a investi les plus grosses sommes : 1,53 million de dollars (858 226 $ pour la page de Justin Trudeau et 673 385 $ pour la page du parti).
Comme à la chambre des communes, le Parti Conservateur (PCC) arrive en deuxième position (1,115 M$). À noter que le parti n’a investi « que » 20 727 $ dans la page de son chef, Andrew Sheer.
Viennent ensuite très loin derrière le NPD (0,35 M$), le Parti Vert (à peine 52 000 $) ou le Bloc Québécois (23 757 $).
Mais au-delà des partis traditionnels, cette bibliothèque ouverte permet aussi de se rendre compte des autres organismes qui ont essayé d’influencer la campagne par leurs publicités. Comme le très anti Justin Trudeau Canada Proud (près de 190 000 $ dépensés soit plus que les partis NPD, Vert et le Bloc Québécois réunis) ou Proud to be Canadian (70 819 $). Mais aussi les associations canadiennes des producteurs pétroliers (51 737 $) ou des infirmières (66 786$) qui ont profité de l’opportunité pour sensibiliser l’électorat à leurs enjeux respectifs.
À noter aussi que la majorité de la dépense publicitaire des partis s’est faite dans la dernière ligne droite, alors que les sondages prédisaient une issue du vote incertaine. Le Parti Conservateur a ainsi dépensé près de 460 000 $ (soit plus de 40 % de son budget du mois entier) dans les sept derniers jours (du 17 au 23 octobre 2019). Pour le Parti Libéral, ce montant se chiffre à 608 000 $ (315 000 $ pour la page de Justin Trudeau et 293 000 $ pour celle du parti).
Où ont été dépensées ces sommes ?
Le rapport précise également les lieux de dépense de ces publicités. Aucune surprise ici : l’Ontario, province la plus populeuse donc la plus riche en sièges, est celle dans laquelle il y a eu le plus d’investissements (3,38 M$) dans les trente derniers jours. Le Québec (1,5 M$) est talonné de près par la Colombie-Britannique (1,4 M$).
Intéressant de percevoir quelques choix stratégiques effectués par les partis. Ainsi, le Parti Libéral a plus investi en Ontario que les Conservateurs (592 000 $ contre 499 000 $) mais pas en Alberta (78 000 $ contre 96 000 $), un des traditionnels châteaux forts conservateurs.
À l’inverse, le Québec semble avoir été délaissé par les Conservateurs, une terre qui lui a toujours posé problème. Ils y ont investi « seulement » 174 000 $ dans les 30 derniers jours contre 396 000 $ pour les Libéraux.
Le NPD a lui investi plus d’un tiers de ses ressources en Colombie-Britannique (127 000 $), un montant quasiment similaire à celui des Conservateurs (154 000 $).
Et quels messages ?
Cette nouvelle bibliothèque mise à disposition est un océan d’informations qui permettent potentiellement de voir le ciblage de chaque publicité ainsi que son nombre d’impressions et son budget.
Radio Canada a ainsi créé un outil qui permet de consulter les publicités de chaque candidat de sa circonscription.
CBC News s’est également intéressé à analyser quelque 35 000 publicités pour s’apercevoir que les internautes albertains avaient été bombardés de messages pour supporter les pipelines tandis que les Ontariens ont vu beaucoup d’attaques de leur Premier Ministre Doug Ford.
CTV a remarqué pour sa part que la page Facebook des Libéraux avait légèrement pivoté en cours de campagne en devenant de plus en plus offensive envers les Conservateurs. Tandis que la page personnelle de Justin Trudeau se concentrait plus sur son bilan.
Un dernier élément technique. Sur ces trente derniers jours, le Parti Conservateur a diffusé 1 375 publicités. Du côté Libéral, ce chiffre consolidé s’élève à… 7 700 ! Soit près de six fois plus. Un signe que ces derniers ont effectué plus de tentatives et d’essais-erreurs pour identifier les bons messages aux bonnes cibles.
« Ce qui me fait dire que les Libéraux ont l’air plus sérieux dans leur stratégie numérique, » indique le stratège Dean Tester dans Global News.
Vous êtes un expert de la publicité numérique ? N’hésitez pas à nous dire si vous voyez d’autres éléments pertinents à mentionner dans cet article, en lien avec la bibliothèque des publicités mise à disposition par Facebook (? redaction@isarta.com).
Bonus : vous parlions il y a quelques jours sur Isarta Infos de Tik Tok, le nouveau réseau social en pleine ascension. Même les politiques s’y mettent, à l’image du chef du NPD Jagmeet Singh durant sa campagne. Une vidéo vue plus de 200 000 fois déjà.
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