Le numérique : un désastre écologique ? Reviewed by Kévin Deniau on . [caption id="attachment_70075" align="aligncenter" width="624"] Crédit : OVH - sur L'Usine Nouvelle[/caption] 6 novembre 2019 Lors de la 32 édition des Entretie [caption id="attachment_70075" align="aligncenter" width="624"] Crédit : OVH - sur L'Usine Nouvelle[/caption] 6 novembre 2019 Lors de la 32 édition des Entretie Rating: 0

Le numérique : un désastre écologique ?

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Crédit : OVH – sur L’Usine Nouvelle

6 novembre 2019

Lors de la 32 édition des Entretiens Jacques Cartier, une conférence s’intéressait à l’impact écologique du numérique. Isarta Infos y était et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en la matière, l’avenir n’est pas tout rose. Ou plutôt vert.

Sur Isarta Infos, nous vous parlons souvent des dernières tendances du Web et des réseaux sociaux. Mais jamais nous n’avions évoqué les conséquences écologiques de ce secteur. Pourtant, il y a des choses à dire… D’où cette double journée de conférences qui s’est déroulée les 4 et 5 novembre derniers à l’UQAM.

Pour une intelligence artificielle (IA) faible en carbone

Première conférencière de la journée, Valérie Bécaert, directrice du groupe de recherche chez Element AI, a commencé par un bref rappel historique de l’intelligence artificielle. Si sa définition (un ensemble de théories et de techniques capable de simuler l’intelligence humaine) date de 1955 et sa première conférence, de 1956, il a fallu attendre le début des années 2000 pour en voir les premières répercussions concrètes.

On pense ici à Deep Blue, le super ordinateur qui a réussi à battre aux échecs le champion Gary Kasparov en 1997. Ou Alpha Go, qui a fait de même en 2016 contre un champion coréen de jeu de go, en passant par la voiture autonome de Google, Waymo.

La machine sait reconnaître, exécuter, être entraîné tandis que l’humain peut comprendre, créer et enseigner. La première est donc encore loin des capacités de l’être humain, indique-t-elle.

Si les avantages économiques permis par l’IA sont indéniables (reconnaissance de la parole ou des images, meilleur contrôle avec l’automatisation et la robotique, résolution de problèmes complexes grâce à la prédiction…), ses vertus écologiques le sont nettement moins.

Imaginez : selon Valérie Bécaert, plus de 90 % de toutes les données générées à date… l’ont été durant les deux dernières années ! Et quand on pense que le pouvoir de calcul des machines va pouvoir être multiplié par 1000 d’ici 2025

J’étais frustrée de me rendre compte qu’on était capable d’aller sur la lune mais pas de bien mesurer les émissions en carbone des entreprises. La communauté scientifique est sensibilisée à cela… mais elle vit dans une dimension parallèle ! » indique-t-elle.

La titulaire d’un doctorat en génie chimique de Polytechnique Montréal en modélisation environnementale se montre réaliste : les capacités de calcul nécessaires à l’IA requiert beaucoup d’énergie, de cerveaux, de temps, de machines… et c’est pourquoi l’industrie s’intéresse pour le moment aux questions qui rapportent le plus. Ce qui n’est pas vraiment le cas des questions environnementales.

Elle cite tout de même deux exemples pour conclure sur une note un peu plus optimiste : Google, tout d’abord, qui a réduit de 73 % la consommation de ses serveurs en optimisant l’utilisation de l’énergie pour le refroidissement. Mais aussi dans le design où l’IA a permis de bâtir une moto plus solide et moins lourde. Le potentiel est donc là, suffit-il de l’exploiter pour les bonnes problématiques.

Quel avenir pour le numérique ?

Dans la foulée, Alexandre Monnin, philosophe et professeur à l’ESC Clermont, une école de gestion française, a abordé la question de l’avenir du numérique. En commençant par remettre en question la fameuse loi de Moore, cette loi empirique qui constate que l’élément principal qui compose les processeurs des ordinateurs, double tous les deux ans. Autrement dit, que la puissance des machines double tous les deux ans.

Elle ne peut pas être infinie… puisqu’il y a une limitation physique, même à l’infiniment petit. D’autant que les métaux nécessaires vont être de plus en plus chers à produire », explique-t-il.

Alexandre Monnin donne un chiffre qui sera répété plusieurs fois dans la journée : 3 %. C’est le ratio des gaz à effet de serre (GES) émis dans le monde par le numérique. Soit autant que l’aviation ! Moins prendre l’avion, c’est bien pour l’environnement. Moins regarder de vidéos sur Youtube aussi.

Le plus inquiétant, c’est que la croissance énergétique du secteur approche les 10 % par an et donc, d’ici 2025, l’impact environnemental du numérique pourrait avoisiner les 8 à 9 % des GES émis globalement ! Le philosophe reprend d’ailleurs l’exemple d’Alpha Go cité précédemment :

La machine a consommé en 10 jours, l’énergie qu’a consommé le champion coréen en une trentaine d’années ! »

Un autre numérique ?

Alexandre Monnin cite alors quelques projets d’un numérique alternatif. Par exemple le designer australien Tony Fry, qui évoque le concept de Défuturation. À la base, le design produit le futur (futuration) mais aujourd’hui, est-ce toujours le cas ? N’accouche-t-il pas d’un futur obsolète ou mort né ?

Il évoque aussi le concept de Web we can afford, en parallèle à la campagne Web we want. Et parle de pistes comme le Web sans Internet, des sites hors ligne (sur clé usb), des sites intermittents, disponbibles qu’à certains moments de la journée…

Il reprend aussi le concept du professeur français José Halloy de technologies vivantes et technologies zombies. Autrement dit, qui ont une durée d’usage très faible… mais une durée de vie très longue. Regardez votre téléphone intelligent. Vous l’utilisez deux à trois ans. Mais ses composantes restent dans l’environnement des dizaines voire des centaines d’années.

Avant de conclure : le numérique ne serait-il pas un commun négatif ? Ce dont personne ne veut s’emparer, comme une rivière polluée ou une centrale nucléaire en fin de vie…

Le sur-usage et le sur-dimensionnement du numérique 

L’après-midi, nous avons assisté à la conférence de Laurent Lefevre, informaticien et professeur à l’ENS Lyon, une école scientifique et littéraire en France. Ce dernier a commencé par prendre un exemple frappant : la vidéo la plus vue sur Youtube dans l’histoire, le clip de Despacito.

Si les 6,4 milliards de vues correspondaient à des personnes et que chacune avait regardée l’intégralité de cette vidéo de plus de 4 minutes, cela aurait nécessité une énergie équivalente à… trois mois de production d’un réacteur nucléaire ! Sachant qu’un réacteur peut fournir normalement de l’énergie à un million d’habitants par an.

Autre aberration : il cite l’exemple de ce japonais qui publie fréquemment des vidéos de chat sur sa chaîne Youtube, qui en compte plus de 19 000 ! Il le fait… parce que c’est gratuit. Mais l’impact écologique de cette pratique est conséquente…

La pression des utilisateurs et les modèles économiques basés sur l’illimité, comme Netflix, provoquent un sur-usage », se désespère-t-il.

L’universitaire s’intéresse aussi au sur-dimensionnement des capacités de réseau. Selon lui, 30 % des serveurs aux États-Unis sont allumés… pour rien. Juste au cas où… et parce que ces acteurs (hébergeurs, opérateurs réseaux, constructeurs) ont peur de ne pas savoir les rallumer.

Quelques leviers verts pour améliorer les choses ?

  • L’extinction : éteindre ce qui est inutile. Le problème est de savoir quand rallumer.

 

  • Le dimensionnement : adapter les performances des ressources aux réels besoins… même si le gain de cette technique est au final marginal.

 

  • L’optimisation : modifier les applications et les services pour les rendre plus verts

En somme, cette journée a fait le constat de beaucoup de dysfonctionnements en cours et à venir.

Même si certains ont indiqué que le numérique pouvait aussi avoir un impact positif sur l’environnement en permettant d’optimiser certaines autres industries polluantes dans les prochaines années. La question qu’a soulevé un participant : a-t-on encore le temps d’attendre ces effets hypothétiques ?



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