Comment l’industrie créative québécoise peut-elle (concrètement) faire face aux enjeux de diversité ?
Par Kévin Deniau
3 juillet 2020
Notre article sur le manque de diversité dans l’industrie créative québécoise a provoqué beaucoup de réactions. Dans un but constructif et de recherche de solutions au problème, nous avons interrogé Hubert Makwanda, président de Concilium Capital Humain, une firme de conseil et de formations sur la gestion du changement et la gestion inclusive de la diversité. Ce dernier anime d’ailleurs une série de tables rondes organisée par l’A2C en juillet pour comprendre et contrer le racisme et l’exclusion.
Que vous inspire le débat actuel sur les enjeux de diversité et de racisme systémique ?
Hubert Makwanda : Je suis heureux de ce débat. Cela signifie que l’on commence à atteindre un certain niveau de maturité qui permet d’avoir ce genre de dialogue. Je me rappelle, quand j’étais conseiller chez Desjardins, en 2006, il y avait un grand malaise pour aborder ces sujets. Une forme de tabou. On n’était pas en mesure de nommer les choses.
Une société qui est en mesure de parler de ces sujets sur la place publique, c’est signe de maturité sociale. Cela veut dire qu’elle est de plus en plus prête à aborder la question de l’inclusion et de la diversité. Et plus on aborde la question, plus on la met sous la lumière et plus les stéréotypes et les préjugés perdent de leur puissance. C’est grâce à cet éveil des consciences que les choses évoluent.
Que peuvent faire les acteurs des médias, du marketing et des communications à votre avis face à cet enjeu ?
H. M. : J’ai pu constater à travers mes 25 ans d’expérience que l’approche par les reproches ou la culpabilisation n’est pas productive. J’ai travaillé sur différents continents, en Amérique Centrale, en Europe, en Afrique et l’on se rend compte que les êtres humains cherchent constamment l’homogénéité, des gens qui leur ressemblent.
Il y a toujours eu des stéréotypes et des préjugés qui se sont propagés à travers le temps et l’histoire, notamment alimentés par les médias. Ces derniers ont ainsi un rôle clé. Ils doivent contribuer à l’éducation et amener des propos constructifs et pas juste sensationnels, issus de faits divers. Les catastrophes que l’on voit constamment en Afrique ou en Haïti font que les gens vont associer par exemple « Noirs » à « misère ». On associe des gens à de stéréotypes.
La solution, c’est donc d’ouvrir les portes. C’est encore plus vrai dans l’industrie créative.
C’est-à-dire ?
H. M. : C’est une industrie qui doit suivre les tendances. Mais suivre les tendances, c’est être en retard d’une certaine façon. Il faut donc les suivre mais aussi les provoquer, car cette industrie a ce pouvoir. Il faut jouer ce rôle de défricheur, de suivre les signaux faibles, de refléter la réalité hétérogène et permettre à la population d’évoluer.
Il faut donc qu’on puisse voir des personnes qui ressemblent à la société dans les médias et que les équipes à l’interne soient le reflet de cette société… et pas juste au niveau des exécutants. Ce qui va en plus enrichir la réflexion et apporter des nuances, que l’on ne peut pas avoir, même avec toute la bonne volonté du monde, quand on est dans l’entre-soi.
Cela enferme l’esprit et cela retarde l’évolution et la créativité. Se priver de la diversité des pensées, cela retarde l’innovation.
Mais que peut-on faire face à l’auto-censure des personnes de la diversité qui pensent que ces secteurs ne sont pas faits pour elles ?
H. M. : C’est un phénomène humain. Il faut inciter les gens, dans tous les domaines. Je me souviens de certains métiers en ingénierie ou dans la police qui étaient surtout composés d’hommes.
Il faut créer des désirs chez toutes les populations mais aussi aller vers ces minorités en se demandant quels seraient les meilleurs canaux pour les rejoindre ? Je me rappelle qu’on avait fait des sondages dans différentes communautés ethniques quand j’étais chez Desjardins et les personnes disaient ne pas s’y reconnaître. Ils l’associaient aux Québécois de souche francophone. Rien que dans le langage : la caisse populaire ne leur parlait pas, le mot banque était plus prestigieux pour eux.
Il faut ainsi faire attention à l’inadaptation du langage à la réalité des gens. Les approches doivent être adaptées et il faut élargir les canaux pour rejoindre le plus de gens possible. Et à compétences égales, favoriser ceux qui sont moins représentés.
D’ailleurs, il est intéressant de voir que, traditionnellement, on cherche le fit. Autrement dit, les gens qui nous ressemblent. Mais si on ne fonctionne qu’avec le fit, on ne change pas vite et on reste dans une forme d’engourdissement de l’esprit.
Il y a aussi la question des discriminations involontaires au sein des organisations…
H. M. : Oui, cela s’appelle les biais inconscients. Mauvaise nouvelle : on en est tous porteurs ! Par exemple, quand quelqu’un est différent, on va lui attribuer plus de choses que l’on constate. Si, dans une équipe d’hommes, une femme arrive et réagit différemment, on va dire que c’est parce que c’est une femme et qu’elle est plus émotive. On la juge sur ses attributs externes.
Mais le même comportement avec un collègue qui nous ressemble, on va l’attribuer plus à sa personnalité intrinsèque.
Ces biais inconscients, on les accumule progressivement au fil des ans et ça ne part pas instinctivement. Il faut donc signaler ces éléments et avoir recours à des formations.
Et quelle est la méthode dans ce cas pour changer les choses ?
H. M. : C’est évidemment difficile à expliquer en 2 minutes. Mais, nous, dans nos ateliers, on fonctionne beaucoup avec des études de cas et des mises en situation. Il faut venir avec des scènes concrètes et en faire une relecture. On vient en effet analyser les faits et leur interprétation. Au fond, c’est une méthode fondée sur l’auto-observation et le constat de phénomènes concrets.
En résumé, l’idée, ce n’est pas de tomber dans le dialogue bourreau – victime. Mais plutôt d’évoquer le devenir commun, ce qu’on veut devenir ensemble.
Retrouvez les tables rondes de l’A2C sur le sujet ici
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