L’industrie québécoise du marketing et des communications souffre-t-elle d’un manque de diversité ? Reviewed by Kévin Deniau on .   [caption id="attachment_76229" align="aligncenter" width="473"] "Nous sommes dans une industrie ou le message est important. Il est donc dommage que l'on   [caption id="attachment_76229" align="aligncenter" width="473"] "Nous sommes dans une industrie ou le message est important. Il est donc dommage que l'on Rating: 0

L’industrie québécoise du marketing et des communications souffre-t-elle d’un manque de diversité ?

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« Nous sommes dans une industrie ou le message est important. Il est donc dommage que l’on n’ait pas plus de diversité et donc de représentation dans les campagnes. » (Julia Vumilia Vira)

3 juin 2020

Le sujet est sensible. Surtout avec les événements actuels. Et c’est pour cela que nous avons décidé d’en parler en vous livrant les témoignages de Julia Vumilia Vira et Joanne Dorcé, deux professionnelles de l’industrie qui incarnent cette diversité.  

Les images -insoutenables- de la mort de George Floyd, tué par un policier de Minneapolis le 25 mai dernier, ont provoqué une vague d’indignation, d’émoi voire de prise de conscience aux États-Unis mais aussi dans le monde entier.

Comme nous l’évoquions hier, certaines marques ont rejoint le mouvement et ont pleinement pris position. Dans notre article, nous parlions aussi du questionnement de l’industrie du marketing et des communications au Québec. Un débat très instructif a eu lieu sur le groupe Facebook des professionnel.les des médias sociaux et du Web au Québec. Au milieu des échanges, Julia Vumilia Vira, responsable des campagnes numériques au sein de C2 Montréal a alors pris la parole pour livrer son témoignage personnel :

Je suis une femme noire et je suis dans cette industrie depuis presque 10 ans. Je peux compter sur les doigts de mes mains les personnes de couleurs que j’ai pu croiser en agence et dans les médias (6, dont 3 en Belgique) », commence-t-elle ainsi.

Avant de pointer le manque flagrant de diversité dans l’industrie :

L’année passée, j’ai participé aux CRÉAS. Parmi toutes les personnes montées sur scène (toutes les agences crea sont montées sur scène pendant la soirée), le constat était évident : aucun visage noir. […] La même année où il y avait une pub de lait qui tournait en affichage en parlant « du lait 100% de chez nous, 100% québécois » avec 2 petites têtes blondes aux yeux bleus. Nous avons participé également à la création de la vidéo 30 under 30 d’Infopresse : aucun noir. »

Le problème de la représentation

Julia Vumilia Vira est Belge mais vit au Québec depuis 2017. Après des expériences chez Omnicom Media Group et Havas en Europe, en tant que responsable des campagnes sociales, elle rejoint Vice Québec en tant que gestionnaire des campagnes numériques puis, enfin C2.

Nous sommes dans une industrie où le message est important. Il est donc dommage que l’on n’ait pas plus de diversité et donc de représentation dans les campagnes. Dans ma carrière, je me suis toujours rendu compte que j’étais la seule noire dans mon domaine », indique-t-elle en entrevue à Isarta Infos.

Pour elle, qui a vécu sur deux continents, le problème ne vient pas d’un pays en particulier mais d’un système.

D’une part, il y a un manque de recrutement de personnes de la diversité. Mais il y a aussi une forme d’auto-censure et d’orientation vers ces filières pour les communautés en question. Le problème vient des deux côtés » explique-t-elle.

Pour autant, elle confie s’être installée ici, entre autres pour cette raison :

Je me rends compte que j’ai plus facilement accès à certains postes. Je sens que la couleur de ma peau est moins un sujet et que je peux avoir beaucoup plus d’opportunités qui s’offrent à moi ici, c’est évident. » 

Pour elle, le grand problème est celui de la représentation :

Quand je vais à des conférences, des remises de prix, je ne vois pas de personnes de couleur qui sont mises de l’avant. Et c’est pareil pour les publicités que l’on voit. Je ne me sens pas représentée ».

Elle se rappelle par exemple avoir assisté à un brief client particulièrement gênant lorsqu’elle était chez Vice Québec. Ce dernier lui présentait la liste des 20 influenceuses avec qui il travaillait.

Elles étaient toutes pareilles ! Ça nous avait choqué. Ce n’est pas mon rôle d’être dans la confrontation, je dois leur faire des recommandations et leur montrer une autre perspective. On leur avait ainsi indiqué qu’il n’y avait, déjà, pas que des femmes qui achetaient leurs produits. On pouvait donc inclure des hommes… mais aussi des personnes issues de la diversité. Il faut bien voir que ne pas se sentir représenté par une marque entraîne une perte de revenu car de clientèle. »

Chez Isarta Infos, nous avons une rubrique dédiée aux campagnes de l’industrie. Nous vous laissons juger du travail qu’il reste à faire dans le domaine de la diversité…

« On est toujours en train de se battre »

Pour Joanne Dorcé, spécialiste des réseaux sociaux au Centre Phi, ce témoignage résonne beaucoup avec ce qu’elle a aussi vécu dans sa carrière en communication et marketing.

J’ai eu la chance de travailler un an à Toronto. J’ai pu y voir de grandes différences. Je suis personnellement une fière Montréalaise, fière de cette ville multiculturelle. Malheureusement, cette culture ne se reflète pas dans les médias, dans les pubs, dans les consommations, dans la culture médiatique. On fait un pas en Ontario, à Toronto, et c’est tout à fait différent : on a des personnes de couleur aux nouvelles le soir ou le main, à la radio, des profils diversifiés dans les agences, que cela soit en création ou en conseil. La ville est certes plus cosmopolite (NDLR : elle serait la plus cosmopolite au monde) mais les publicités sont le vrai miroir de la société ».

Crédit: Candice Pantin/Conférence Conversations noires 2019, Mois de l’histoire des Noirs /Centre PHI

Interrogée par Isarta Infos, elle souligne l’importance d’avoir constamment à se battre :

On essaie de rentrer dans ces conversations, on essaie d’éduquer les clients mais aussi à l’interne. La bataille du Working while black est bien réelle, on se bat pour une représentation dans les communications, pour avoir une place à la table… on est toujours en train de se battre ! »

Laisser la place…

En réaction à la publication Facebook de Julia Vumilia Vira, une technicienne marketing de couleur confirme :

Je suis exactement dans la même position que toi. Dans les entreprises où j’ai travaillé, dans les formations, peu de visages noirs. Dans les vidéos, publicités, pareil ou très peu. J’ai vu une formation où deux jeunes personnes sont venus parler du design inclusif. C’était ironique car c’était deux personnes blanches. »

Trop de fois, quand je regarde la TV, des personnes qui viennent parler du racisme et de la discrimination, ce sont des personnes blanches. C’est le moment de laisser la place ! Les gens ne se rendent pas compte de la douleur que c’est, poursuit Julia Vumilia Vira qui dit avoir passé une semaine très difficile psychologiquement. Ce n’est pas une personne blanche qui peut parler de comment on se sent ».

Notons d’ailleurs que, pour cet article, nous avons demandé à Rachelle Houde Simard, fondatrice du groupe Facebook des pros du Web si elle acceptait de nous accorder une entrevue. Elle a refusé… « pour ne pas prendre la place justement de quelqu’un de mieux placé ».

Pour Julia Vumilia Vira, le problème vient essentiellement de l’ignorance, du manque d’éducation voire de curiosité :

Cela vient aussi de l’entourage. Ne pas avoir grandi avec de la diversité autour de soi, ne pas en avoir dans son entourage… »

Les gens sont de bonne volonté mais ils ne se rendent pas compte parfois qu’il y a un problème, que tout le monde se ressemble », confirme Joanne Dorcé.

Il y a des clients que j’ai rencontré, cela ne leur était même pas venu à l’idée de mettre de la diversité dans leur compte Instagram, dans leur shooting ou leur casting. En 2020, ce n’est plus normal », enchaîne Julia Vumilia Vira.

Que faire ?

Pour Joanne Dorcé, un des messages importants adressés aux directions de l’industrie qui veulent contribuer à changer les choses est d’écouter et de revoir les valeurs de l’entreprise.

Cela passe par le recrutement de gens de la diversité et d’autres horizons, insiste-t-elle, Rien de nous sans nous ! »

Un avis partagé par Julia Vumilia Vira :

Cela passe par la façon dont ils vont engager des gens et ce qu’ils font au quotidien pour que ces personnes se sentent à l’aise. J’a vécu par exemple une discrimination en Belgique et l’entreprise ne savait pas comment la gérer ! J’étais la victime et c’est moi qui me retrouvait prise dans ma journée à aller de bureau en bureau pour en discuter ».

Pour conclure, nous vous proposons ce texte publié ce 3 juin par Rachelle Houde Simard sur Facebook. Une manière d’exprimer que ce problème est l’affaire de tous. Sans exception :

Qui suis-je pour avoir opté de ne pas rester silencieuse hier? Moi, femme blanche. Un historique dans lequel je pourrais facilement tomber dans les pourquoi du comment pour défendre mon action, mais ça ne concerne personne, et ca change rien de toute façon. J’aurais pu me la fermer, rien dire, rien faire. Simplement écouter, regarder et lire. Être passive.

Mais hier j’ai regardé mon privilège droit dans la face. Et qui dit privilège dit responsabilité.

Avec le groupe des Pros, on a une plateforme incroyable remplie de décideurs, entrepreneuses, communicateurs, de partout au Québec. Vous êtes parmi les meilleurs dans nos industries respectives. Des personnes intelligentes, allumées, curieuses, engagées, créatives.

Donc quand on se pose la question “est-ce que ça va poursuivre plus loin qu’une vague de carrés noirs pendant une journée” je me tourne vers vous et je dis “oui”. Un gros “PHOQUE OUI.”

Oui, on va s’entendre entre professionnel.les que nous avons un rôle important à jouer dans la situation actuelle et le pouvoir de changer la culture ensemble.

Oui, car nous avons un pouvoir d’employer des artisans et professionnels issus de plusieurs communautés.

Oui, car nous travaillons à façonner la culture à coup de messages, pubs, publications.

Oui, car nous engageons des artistes, utilisons de la musique et des images et des vidéos. Nous devons considérer notre pouvoir d’achat.

Oui, nous représentons les Québécois.es des quatre coins de la province, c’est notre responsabilité de tous les représenter.

Oui, car il y a plusieurs raisons qui s’ajoutent à cette liste et j’en finirai plus.

Donc, non, hier je ne cherchais pas à ajouter au bruit ou à déclencher des émotions fortes, mais oui je cherchais à avoir une conversation inconfortable qui nous pousserait à à dire les vraies choses et affecter du vrai changement. Le reste dépend de vous, votre engagement envers nos communautés. »



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