Rachelle Houde Simard : « Le bureau va devenir un espace plus social que fonctionnel »
Par Kévin Deniau
25 août 2020
Cette rentrée ne sera définitivement pas comme les autres. La crise de la COVID-19 et ses multiples conséquences ont profondément et durablement bousculé nos certitudes et manières de faire. Pour essayer de s’orienter dans ce brouillard, nous vous proposons une série d’entrevue avec des chefs de file de l’industrie sur leur vision des temps à venir.
Après Roger Duguay de Boyden, deuxième épisode aujourd’hui avec Rachelle Houde Simard, directrice de la planification stratégique chez Tam-Tam\
Tout d’abord, peux-tu nous dire comment vous avez vécu et traversé cette crise ?
Rachelle Houde Simard : Déjà, il faut dire que pour certains collègues, le travail à la maison était quelque chose de nouveau. Donc c’est tout de même quelque chose de vous pitcher dans le feu comme ça ! Heureusement, ça s’est bien passé et on s’est rendu compte qu’on était bien plus avancé en termes de transformation numérique qu’on le pensait.
Moi, étant pigiste auparavant, j’étais habituée au télétravail. Mais il a fallu tout de même rester accessible à son équipe et la rassurer. On a dû en quelque sorte repiger dans nos sacs de parent pour aider les employés. Il fallait impulser en effet un sentiment de réconfort dans cette période où tout était morose. Autant pour ton équipe que tes clients d’ailleurs. Ces derniers ont aussi besoin de réassurance, sachant que notre survie dépend de la leur également.
À titre personnel, cela a été extraordinairement difficile. J’ai en effet perdu mon père. Il a fallu gérer la maladie dans ce contexte COVID. Je me suis donc retiré du travail plusieurs semaines avant et après pour me ressourcer et faire mon deuil. Je suis juste revenue pour un pitch entre temps. Ça n’a vraiment pas été la plus période la plus facile de ma vie mais je me suis sans cesse répétée la phrase de ma grand-mère qui disait : « Faut tout le temps un peu de marde dans ton engrais si tu veux que ça pousse ». Je peux te dire que les fleurs vont être belles l’année prochaine !
As-tu été surprise ou marquée par certaines évolutions dûes à cette crise ?
Rachelle Houde Simard : En fait, on s’est rendu compte que la santé mentale n’a jamais été un sujet aussi important pour nous à l’agence. Je savais qu’on était une agence bienveillante mais de le voir concrètement en action…
C’est fou de se dire qu’on était parfois l’entité avec laquelle les employés avaient le plus d’interactions. Quand tu y penses… Tu n’es plus juste un endroit où les gens vont physiquement. Tu deviens leur accroche au monde extérieur, au-delà de la bulle dans laquelle ils sont pendant 24h. Tu leur donnes une raison de se réveiller, de prendre leur douche, de s’habiller.
Cette crise nous a fait prendre conscience que ce n’était plus juste un emploi. C’était comme une helpline. On a fait beaucoup de points individuels ou en équipe. On était en quelque sorte en safe mode pendant quelques mois, un peu quand on redémarre un ordinateur. Et cela a eu des impacts d’ailleurs par la suite.
C’est-à-dire ?
Rachelle Houde Simard : On le voit avec l’intensité de la vague de dénonciations que l’on voit depuis quelques semaines. Comme si on avait tellement été renfermé derrière nos écrans, que l’on se sentait protégé et donc capable de dire des choses que, dans le monde réel, on n’oserait pas dire.
Comme tu ne vois plus les gens physiquement, tu n’as plus l’inconfort du call-out et dénoncer ce qui ne marche pas, comme les enjeux de diversité, les abus sexuels…
Pour toi, ces mouvements sont directement liés à la COVID ?
Rachelle Houde Simard : Oui, je pense qu’on n’aurait pas vu ça sans la COVID. Le monde réel est presque rendu virtuel. C’est devenu un autre monde. Tu n’interagis plus avec les gens. La distanciation sociale cause une distanciation psychologique. C’est dans ces contextes que des systèmes avec des bris et des failles s’écroulent. Et c’est ce qu’on voit.
On a tellement été mis sous pression pendant des mois, comme dans un cuiseur, que cela a tout changé dans nos vies. Et il n’en a donc pas fallu beaucoup pour nous faire exploser.
C’est quelque chose que j’ai appris en thérapie post-traumatique de deuil. Tout le monde va développer une certaine forme de stress post-traumatique. Il faut d’ailleurs se préparer à plus de dégâts traumatiques quand l’hiver viendra.
Parlons désormais de l’avenir. Comment vois-tu les choses de ton côté ?
Rachelle Houde Simard : Je dirais qu’on est présentement sur le système de ventilation. Le gouvernement couvre les salaires, beaucoup de gens craignent de perdre leur job, l’instabilité économique fait peur tout comme le risque d’une deuxième vague.
Je pense que tout le monde doit avoir comme plan A que l’on reparte en confinement en octobre. Pas le plan B mais bien le plan A pour tout le monde. Car, s’il n’y a pas de deuxième vague, on sera en meilleure posture en allant vers un plan B plus optimiste. On ne sera pas pire qu’on vient de l’être mais l’hiver ne sera pas facile.
Nous, en tant qu’agence, il faut être là pour accompagner et guider nos clients afin de les aider à s’en sortir. On dit souvent qu’une habitude, c’est 3 semaines pour la mettre en place et 3 mois pour l’adopter. En presque 6 mois, il y a eu le temps d’avoir de nouvelles habitudes ! Donc il faut s’adapter et se montrer plus flexible que jamais.
Cela va-t-il se répercuter sur les campagnes ?
Rachelle Houde Simard : Cela va dépendre de la nature du client et de la marque. Rappelons qu’une marque solide doit être prévue sur le long terme. La vision doit être durable avec des éléments qui ne changent pas sur au moins 3 ans.
Mais c’est sûr que la réassurance va être très importante désormais auprès des clients. Et il faudra développer de plus en plus de campagnes réactionnaires vis à vis des consommateurs. Mais ce n’est pas nouveau et les agences sont habituées à faire cela avec leur réseau de pigistes. C’est plutôt du côté des annonceurs qu’il va falloir, parfois, changer de rythme.
Un mot sur le futur du travail. C’est un peu comme lire dans une boule de cristal mais quelle est ta vision sur ce sujet ?
(Elle prend alors une boule de cristal qu’elle a derrière elle, dans son bureau !)
Rachelle Houde Simard : Pour l’heure, on a en effet 2 personnes qui travaillent du bureau sur un effectif d’une quarantaine. Nous avons aussi pris la décision de travailler de la maison jusqu’à septembre minimum. On a mis en place des sondages pour voir comment est vécu le télétravail. Et 95 % d’entre eux ont déclaré préférer travailler de la maison en majorité du temps. On voit que la plupart a trouvé son équilibre, sachant qu’on a équipé tout le monde avec des chaises ergonomiques ou des écrans d’ordinateur.
Maintenant, il convient de redéfinir en effet notre espace bureau pour notre « retour ». Quel rôle l’espace physique peut jouer pour améliorer notre état actuel ? Comment il peut améliorer notre qualité de vie ?
Le bureau du futur sera basé sur la collaboration. Cela sera un lieu de regroupement. Nous ne verrons plus 250 personnes au même endroit dans un bureau dans notre industrie. Pour moi, cet espace partagé sera là pour faciliter la collaboration et la créativité de manière sécuritaire. Cela va devenir une oasis pour les familles ou des collègues qui ont besoin de sortir de la maison. Car n’oublions pas que télétravail et dépression vont main dans la main. Le bureau peut devenir une source de ressourcement. C’est une excuse pour aller voir un être humain et sortir de la maison.
L’humain est programmé pour interagir avec un autre humain. Nos neurones miroir ne sont pas activés en ce moment. Donc je pense que le bureau va plus devenir un espace social que fonctionnel. En fait, c’est l’inverse de ce qui se faisait avant : on va aller au bureau pour s’échapper !
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