Les pièges de l’authenticité au travail
29 décembre 2020
L’authenticité a beau être un concept globalement valorisé en société et au travail, le psychologue organisationnel et créateur du balado WorkLife, Adam Grant, croit qu’il faut tout de même s’en méfier.
On ne peut contester que le concept est à la mode. On salue les gens qui disent « tout haut ce qu’ils pensent ». On célèbre les leaders qui se montrent « vulnérables ». Nous avons d’ailleurs abordé ce dernier sujet avec Pascale Dufresne, encore récemment.
Or, dans un récent épisode de son balado, le psychologue organisationnel Adam Grant remarque quelques bémols à la notion d’authenticité au travail.
Il y a de bonnes raisons de valoriser l’authenticité, concède-t-il d’abord. Plusieurs études montrent que lorsqu’on a la liberté d’exprimer ses pensées et ses sentiments notre énergie et notre efficacité jaillissent; et lorsqu’on sent qu’on ne peut pas être authentique au travail, on a plus de chance de ressentir du stress et de la fatigue. »
Le psychologue conseille d’ailleurs aux travailleurs de trouver un milieu de travail où ils se sentent acceptés et respectés pour qui ils sont.
Adam Grant fait toutefois une distinction entre l’importance de trouver un tel milieu – caractérisé avant tout par la bienveillance – et la pertinence d’exprimer son authenticité à tout moment et en toute circonstance.
Comme première mise en garde, le psychologue évoque une méta-analyse regroupant plus de 20 000 personnes, concluant qu’une quête d’authenticité débridée ne rendait pas toujours heureux au travail.
[Les chercheurs ont découvert que] plus les gens se concentraient sur le fait d’être eux-mêmes, moins ils avaient de succès au travail. Ils avaient des évaluations de rendement en dessous de la moyenne et obtenaient moins de promotions. »
Compétent d’abord, vulnérable ensuite
La seconde mise en garde d’Adam Grant se rapporte à l’idée assumant qu’il est « toujours payant » de se montrer vulnérable, comme gestionnaire ou professionnel.
Montrer de la vulnérabilité nous humanise, convient le psychologue. Et les gens ont tendance à aimer cela. Mais il y a une mise en garde cruciale : cela ne fonctionne que si on a déjà démontré sa compétence. Vous étiez impressionnant et maintenant on peut s’identifier à vous. »
Pour prouver sa thèse, Adam Grant renvoie à différentes études montrant que seuls les candidats dont la compétence est sans équivoque dans le CV peuvent gagner des points en se montrant vulnérable ou autocritique en entrevue. Les candidats «médiocres» ne font que diminuer leur chance d’être embauchés.
Nous avions d’ailleurs abordé ce phénomène dans l’article « Vendeur, les défauts! Mais, pas pour tous… »
Quand les mots deviennent des bombes
Dans un troisième temps, Adam Grant s’attaque à l’idée que toujours dire ce que l’on pense est une vertu.
Certaines personnes deviennent tellement absorbées par l’expression de leur propre opinion qu’elles perdent de vue l’impact qu’elles ont sur les autres, explique-t-il. C’est facile de penser que l’authenticité, c’est seulement à propos de nous, comment on se représente dans le monde. Les autres personnes doivent faire partie de cette équation. »
Sans empathie, l’authenticité tourne à l’égoïsme et au narcissisme, insiste-t-il. Il suffit de regarder Donald Trump pour s’en convaincre!
La réalité des identités multiples
Le dernier point soulevé par Adam Grant concerne la complexité de la psyché humaine.
Nous n’avons pas une identité unique et rigide. Nous avons, comme humain, des identités multiples qui se côtoient dans notre esprit : identité masculine, féminine, de père, de mère, de professionnel, de personne issue de la diversité, et ainsi de suite.
Nous n’avons pas l’obligation de vivre et d’exprimer ces identités à tout moment, en toute circonstance, argumente le psychologue.
Ça vaut la peine de réfléchir à la manière, à l’endroit et au moment de partager ces différentes identités; on veut être authentique, mais on veut aussi être professionnel. On peut mettre des balises judicieuses. Montrez de l’empathie, mais donnez vous aussi la liberté de changer, d’évoluer. Ne faites pas que contester les normes, gagnez le mérite de les changer. »
Pas besoin d’amener votre « tout » soi-même au travail, conclut-il. Il suggère d’amener au travail la meilleure version de vous-mêmes, celle qui fera ressortir le meilleur des autres également.
Crédits photo de une : Mimi Thian / Unsplash
Crédits photo de l’article : Adam Grant, Facebook
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