Investissement en leadership : des milliards de dollars en pure perte ?
1er octobre 2019
Quand on regarde l’évolution de l’investissement en développement du leadership (il a doublé en 15 ans, passant de 7 à 14 milliards $ aux États-Unis), on se rend compte que les résultats ne sont pas du tout au rendez-vous, puisque la confiance envers les leaders politiques et organisationnels… a décliné de 30 % durant cette période !
Ces chiffres, qui datent certes de 2013, donnent tout de même à réfléchir.
Ces données-là montrent qu’il existe un gouffre qui se creuse et que, visiblement, on n’investit pas au bon endroit », dit Simon Grenier, professeur adjoint en psychologie du travail et des organisations à l’Université de Montréal. On a de la difficulté à faire la distinction entre le développement des leaders – donc, des individus dans un rôle de leader – et du développement du leadership au sein de l’organisation. »
Il s’investit effectivement beaucoup d’argent pour former des leaders, quand on pense à l’essor des coachs exécutifs en tout genre. Ce développement est peut-être bon pour les leaders eux-mêmes, d’un point de vue professionnel. Mais du point de vue de l’organisation, rien n’est moins sûr.
Le leadership, dans une organisation, c’est une capacité collective. Les gestionnaires doivent prendre conscience qu’ils ont le devoir de donner de la place aux autres. Leur rôle est de comprendre de quoi leurs employés sont capables, puis de solliciter les bonnes personnes sur les bons enjeux », explique Simon Grenier en entrevue.
D’ailleurs, ce discours autour d’un leadership distribué fait écho à l’appel du consultant Josh Bersin, qui, dans une entrevue récente, appelait les dirigeants à donner le pouvoir à leurs équipes de travail, qui, elles, connaissent les besoins des clients.
Dans un contexte où les organisations visent un modèle de gestion plus agile ou à tout le moins, moins hiérarchique, les leaders doivent désormais prendre une posture de facilitateur, d’ouvreur de porte, de mobilisateur, pour que les employés puissent déployer le meilleur de ce qu’ils ont à offrir pour leur organisation », renchérit le professeur.
Des changements qui prennent du temps
Évidemment, il ne suffit pas de réécrire des politiques internes et de multiplier les ateliers de formation, en espérant que le problème se règle par lui-même. Il faut s’assurer que les employés assument concrètement la part de leadership qui leur est attribué:
Au-delà du développement des compétences, pour le moment, on ne sait pas si les programmes de leadership amènent les gens à changer leur posture, si la participation à ces programmes vient affecter leur identité profonde. C’est une question importante, car on a beau donner tous les outils possibles à quelqu’un, si la personne ne les utilise pas, ou si, pire, elle ne croit pas qu’elle peut les utiliser, si sa conviction de pouvoir adopter ces comportements de leadership n’évolue pas, on ne l’aide pas devenir un meilleur leader.”
Le développement du leadership est une démarche progressive, poursuit-il. On ne peut pas s’attendre à des résultats instantanés. On travaille sur des comportements, et il faut se donner du temps pour y arriver.”
Ultimement, les organisations doivent opérer un changement « culturel » :
Il faut que la vision du leadership s’élargisse et que les organisations développent des cultures qui offrent la possibilité à tout le monde de démontrer du leadership, sans que ce soit une question de statut ou de rôle formel. »
Du temps pour soi
L’exercice du leadership est une recette composée de plusieurs ingrédients : on doit savoir où l’on s’en va, on doit avoir la capacité de susciter l’engagement et la confiance, puis on doit avoir le courage de prendre des décisions impopulaires.
Or, ce qui manque par-dessus tout aux professionnels qui désirent assumer leur part de leadership, c’est du temps de réflexion sur leur propre parcours:
Il y a de plus en plus de données probantes qui démontrent que, quand on prend du temps pour se décrire et se comprendre professionnellement, décrire sa propre histoire, comprendre d’où l’on vient, donner un sens à notre parcours et réfléchir à ce qui manque, on évolue positivement.”
Ça prend du temps et ça prend de l’espace. Mis à part dans le cadre de certains programmes très spécifiques comme le MBA, où on vise aussi le développement de compétences techniques de gestion, les gestionnaires et les travailleurs n’ont plus l’espace de temps nécessaire pour réfléchir et se poser des questions sur qui ils sont professionnellement, à comment ils veulent évoluer et quels moyens ils peuvent prendre pour évoluer.”
Bonne réflexion!
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