Le télétravail va-t-il devenir la nouvelle norme ?
Par Kévin Deniau
27 mai 2020
Alors que les géants du numérique, tels Facebook, Twitter ou Square, commencent à envisager le télétravail pour leurs équipes de manière permanente, qu’en est-il pour la majorité des entreprises traditionnelles ? Nous avons posé la question à Jean-Baptiste Audrerie, chef de pratique transformation RH chez Horizons RH.
La moitié des employés de Facebook pourraient travailler de chez eux de façon permanente, d’ici 5 à 10 ans. »
Le jeudi 21 mai dernier, Mark Zuckerberg, le patron du célèbre réseau social a lancé une phrase qui a beaucoup fait parler dans l’univers des RH. Il a même annoncé vouloir être « l’entreprise la plus en avance au monde sur le travail à distance. »
Déjà, 95 % des 45 000 salariés de la firme sont présentement en télétravail et il n’est pas prévu qu’ils reviennent au bureau avant la fin de l’année (ce que Google avait aussi annoncé).
Une perspective qui les réjouit modérément : seulement 20 à 40 % d’entre eux se disent intéressés à l’idée de ne plus avoir à retourner au bureau, selon une étude interne.
Les avantages évoquées d’une telle décision radicale ? Diversité des recrutements, économies sur les infrastructures, rétention des personnes obligées de déménager pour des raisons personnelles, impact sur la planète…
Une réponse à des attentes non satisfaites des employés
Une question se pose alors : au-delà de Facebook, le télétravail, expérimenté par une grande part des salariés du monde durant la crise de la COVID-19, va-t-il passer de l’exception à la norme ?
Jean-Baptiste Audrerie se montre prudent. Pour lui, la situation a au moins eu le mérite de faire bouger la mentalité des entreprises réticentes :
Cela répondait à des attentes non satisfaites chez les employés. Ce qu’ils veulent, c’est de la flexibilité. Et le confinement a permis de se rendre compte que cela fonctionne. Ce n’est qu’une demi-surprise puisque toutes les technologies nécessaires étaient là depuis une dizaine d’années. »
Étant donné que le virus semble là pour durer dans la société, en tout cas selon l’OMS, la pratique va en tout cas continuer de s’ancrer dans les habitudes, même après le déconfinement. Les entreprises qui le peuvent vont en effet maintenir la situation pour des raisons sanitaires. Du moins, tant que ce ne sera pas sécuritaire.
Ce qui va poser la question du retour au bureau :
C’est très différent de faire du télétravail un jour par semaine ou de manière permanente. Quand tu vois que ton équipe est toujours là, que la productivité est plus ou moins équivalente, (NDLR : une fois que les enfants seront de retour à l’école !) tu te dis que revenir au bureau de manière permanente va faire très bizarre, » indique-t-il.
Le grand retour du « nomadisme »
Pour lui, demain sera synonyme « d’hybridation ».
Il y en a qui ont besoin d’être ensemble, de collaborer ou qui n’aiment pas le télétravail. Mais pour un travail régulier sur des tâches de base qui ne nécessitent pas énormément d’interactions sociales intenses et complexes, pourquoi en effet perdre une à deux heures de transport pour se rendre au bureau ? Aujourd’hui, la main d’oeuvre est distribuée, le lieu de travail va aussi être distribué. On entre dans le monde du nomadisme, un terme qui date des années 1990 ! »
Ce qui n’est pas sans poser malgré tout une kyrielle de nouveaux enjeux.
Quelle gestion des équipes ? Comment animer des réunion ? Qu’est-ce que l’art de se réunir ?
J’ai l’impression qu’il va y avoir un enrichissement de l’espace de travail. Si je dois me rendre au bureau, c’est qu’il doit y avoir quelque chose de particulier qui se va se passer. Car il faut bien voir que ce n’est pas le bureau qui crée la performance, ce sont les objectifs, la culture, le mode de gestion… » explique Jean-Baptiste Audrerie.
La bonne nouvelle, c’est que cela va mettre à mal la micro-gestion, ces « petits chefs » qui raisonnaient par heures d’entrée et de sortie ou par tâches accomplies.
Ces gestionnaires vont se sentir débordés par cette nouvelle situation car ils perdent les moyens de contrôle. Alors que c’est ce que les salariés attendent : de l’autonomie ! »
Autre avantage, pour les recruteurs cette fois, l’ouverture à la main d’oeuvre mondiale. TechCrunch parle aujourd’hui du travail « de n’importe où » plutôt que du télétravail. Une notion que nous évoquions aussi ici.
La limite sera plus linguistique que géographique. On s’oriente donc vers une nouvelle géographie de l’emploi, » insiste-t-il.
Oui au télétravail à la demande
Parmi ses clients, le consultant entend de plus en plus de demandes pour éliminer les processus papier qui nécessitent des déplacements et des signatures. Mais aussi pour se former à la gestion à distance.
Car se posent toujours la question des employés de première ligne qui ne peuvent pas faire de télétravail car ils sont sur le plancher ou au contact de la clientèle. Comment tu les gardes informé ? Quel est leur accès à l’information ou aux formations ? Comment on les rattache en somme ? »
Il existe pour cela des plateformes spécifiques comme par exemple la montréalaise Workjam qui permet d’augmenter l’adhésion et l’engagement des salariés en télétravail.
Pour autant, Jean-Baptiste Audrerie ne croit pas aux effets d’annonce du moment sur une vision en « tout télétravail ».
On est dans un flot d’émotions actuellement. Mais rappelons-nous de IBM qui a fait marche arrière sur le télétravail il y a quelques années. Ce n’est pas fait pour toutes les tâches : celles où tu as besoin de résoudre des problèmes ensemble, où tu dois te coordonner… tu peux le faire par Zoom, mais ce n’est pas vraiment la même chose. Cela va donc dépendre des entreprises, des phases, des projets, de la géographie etc. »
Pour lui, le grand défi sera celui de l’individualisation des conditions d’emploi. Le télétravail à la demande va devenir la norme et il ne sera plus rare d’obtenir, comme nouvel avantage social, une prise en charge de son bureau, de sa chaise ou de son Internet… à la maison.
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